il PC + / + 7 __ $ - *London, as Le Aatderects.14 Fer 4 M'PINCE. dans le Tambournocturne. « “ Publäshil, s KP JTE. = == LV) DA A4 EAU, PRÉVILLE GIP, eur dut À LÉcaère e ( } ce 4 Pan COS MÉMOIRES D E. PRÉVILLE, MEMBRE ASSOGIÉ DE L'INSTITUT NATIONAL ; | PRORESSEUR DE DÉCLAMATION AU CONSERVATOIRE | + | k «ue 4e ni à Er couÉDEEN Rançaisé À, & i ve = : r PAR j K. S. H. | (C2 Delectando, pariter que monendo: À PARIS, _CHEZ F. GUITEL, LIBRAIRE, Place Saint-Germain l’Auxerrois, No, 27, | x812. Re 4.40 ph < à s . fra M e- A AVANT-PROPOS. Quand Préville n'aurait été qu'un grand comédien et le plus célèbre professeur dans T art de la déclamation , il aurait, sous ces deux rapports des droits à l'intérêt qu'in- spire l'homme distingué par ses talens; mais ilen a à l'estime générale qu'il mérita par la pureté de ses mœurs, et par la réunion de toutes les qualités sociale É Citoyen vertueux, bon mari, bon père, bon ami, voilà ce qu'il fut dans le cours . d'une vie passée dans un état où les pas- sions,. de quelque genre qu'elles $oient, trouvent un aliment Rs Quoiqu'il méritât à tant de titres que son nom fut placé au nombre de ceux qu on aime à se rappeler , nul écrivain n'a REA = As ) HAE | FT eticore semé dés fleurs sur sa mémoire. (*) Je dois donc me féliciter d'être le pre- mier. qui rend un hommage publie à ce Roscius, de la scène française. Que le lecteur me permette un léger éclaircissement sur les mémoires qu'on va lire. | Les matériaux qui les composent m'ont été remis par la personne que ses droits en rendaient. seule dépositaire : à ce titre de doivent capter la confiance des lecteurs. En les recevant pour les mettre en œuvre, @iplus consulté mon, zèle que mon talent; je savais’ que cette tâche appartenait au vénie; mais Je me suis dit: le cachet de Prévitle sur tout ce qui concerne l’art qu’il professait, fera oublier à la critique ce qui appartient à l'éditeur : les yeux se fixeront sur le tableau et n'appercevront point la bordure. en (*) Voyez la page 215. MÉMOIRES DE P. L. DUBUS-PRÉVILLE, Pl RER LL ÈVE LÉ UNS SERA RS A) L peintre se survit dans ses tableaux, l'homme de lettres dans ses œuvres, le musicien dans ses savantes Compositions, l'artiste dans les modèles qu'il laisse deg ses heureuses imitations; mais le comé- dien , quelque célèbre qu’il ait été, s'il na que ce seul titre, ne transmet à la postérité d'autre souvenir que son nom, auquel les acteurs qui lui ont succédés rattachent quelquefois la tradition de son jeu. On ne sait rien de lui, si non qu'il a existé et quil a fait les délices de la scène à l’époque où il vivait; son sou- venir laisse un vide dans nos idées. car I 7e ‘ie 118 j UT dé comment juger de la sublimité d'un ta- lent qui n'est plus? Tels ont été Lekain, Bellecour, Molé, etc. Il ne nous reste au- AE cune trace connue sur laquelle on puisse les suivre pour les apprécier. Il n'en se- rait pas de même si, après avoir assuré leur réputation sur la scène, ils dvaient publié les réflexions que l'étude appro- fondie de leur art a du leur suggérer: c'eût été un bel héritage à laisser à leurs suc- cesseurs. . Préville avait-il senti cette vérité ? ou Be seul désir d'instruire ceux qui se pro- posaient de débuter dans une carrière . qu'il a si glorieusement parcourue l'avait- il engagé à rassembler, en notes détail- lées, ses judicieuses observations sur un art qu'il professa avec honneur et dont il semblait être le créateur, quand ilen., développait , en action, les ressorts les plus cachés. Avant de mettre sous les yeux du lec- teur ces observations, montrons Préville RE PES on étaité s"@ D | L'ANRE- V | tie OUI TRE ONE a lcul els ee 22 1€ # pets Haies | 8 al] EL" dans quelques unes des situations de sa vie privée et prenons le au sortir de l'enfance. Tout se lie dans la” vie d'un homme que la nature destine à tenir le premier rang. dans l'état dont il doit un jour faire le choix. P: L, Dubus-Préville, naquit à Paris le 17 novembre 1921, rue des Mauvais Garçons, derrière la salle du théâtre fran- çais. Une observation assez singulière c'est que Mlle Clairon eut de commun avec Préville, d'être née dans cé même voisi- mage. Les fenêtres de la maison de 54 mère étaient situées de maniere qu'elle plongeait la vue dans les loges destinées aux actrices pour sy habiller. L'air qu'elle respirait, ditelle dans ses mémoires, et le spectacle continuel qu’elle avait sous les yeux, développèrent en elle, dès ses plus tendres années, son goût pour la comédie. Le jeune Dubus avait, sans doute, emporté avec lui dans l’ab- baye St. Antoine, où il fut élevé, la pre- SZ en (4) mière impression de son air natal: car, comme Mlle Clairon , à peine sorti de l’en- fance , il était déjà comédien. . Son père, (intendant de la princesse de Bourbon, abbesse du couvent du petit St. Antoine) homme d'une probité in- tacte , n'avait, pour élever sa famille com- posée de neuf enfans, que les émolu- . D'ou 3 mens de Sa place. Un travail assidu : et de minces moyens d'existence influaient sans doute sur son caractère et lui don- naient une äpreté repoussante: ses en+ wfans se ressentaient, encore plus que les autres, de son. excessive sévérité. Préville, malgré son extrême jeunesse, avait l'esprit de réflexion, il savait qu'il ne pouvait s'affranchir de l'humeur bi- zarre de son pére, qu'il supportait cepen- dant avec patience , qu'autant quil se- rait en état de remplir les vues quil avait sur lui en le plaçant en qualité de clerc, soit chez un notaire, soit chez un avocat, En conséquence il travaillait surtout à for: (5) mer son écriture et bientôt il fut en état de remplir ce poste tant désiré. Sage et laborieux , depuis trois ans il nétait plus à charge à la maison pater- nelle, et déjà l’on pouvait espérer que la carriere dans laquelle il était entré serait celle qu'il poursuivrait toute sa vie. La manière dont il s'acquittait de ses devoirs ne laissait pas soupçonner le dégoût in- surmontable qu'il avait pour un métier qui enchainait son génie. Le sien répugnait aux affaires; expédier des actes, dresser des procurations, copier des inventaires, c'était user un tems qui ne l'amusait Dig ne l'instruisait pour l’état auquel il était appelé. La nature si prodigue dans tou- tes ses productions, est avare dans celles qui tiehnent au génie: il lui avait fallu un siècle pour créer Molière ; il ne lui en avait pas fallu moins pour créer Pré- ville ; et certes elle n'aurait pas renoncé à son œuvre. Préville“écouta sa voix et laissa l'étude du Digeste pour celle du bréviaire de Thalie. (6 Jeune, on méconnait la route qui con: duit à Ja fortune, pour suivre celle qu'in- dique un gout dominant. Préville fut le plus célèbre des comédiens: en suivant les intentions de son père, il eüt peut- être été le plus médiocre de tous les no: taires. Ce fut envain que celui-ci cher- cha à ramener son fils à son intendance; rien ne put déterminer le jeune Dubus à renoncer au choix qu'il avait. fait. Sür de ses moyens, quoiqu'il n'eût # L L # fait qu’une étude peu suivie des modeles existans alors sur la scène française , Pré- œille alla debuter dans quelques villes ignorées, et ses premiers essais furent marqués par des succès frappans. Bien- tôt sa réputation s'étendit au loin. Les directeurs des principales villes de France, telles que Strasbourg, Dijon , Rouen, ete.” se le disputèrent à lenvi; tous eurent le bonheur de posséder quelque tems ce jeune acteur qui donnait de si grandes espéran- ces. Mais la province est souvent une école dangereuse pour un débutant. Le nombre (47 9: 7 des vrais connaisseurs n'y est jamais en raison de la multitude des spectateurs , et la multitude aime dans les valets, (c'é- tait l'emploi que Préville remplissait) les tableaux chargés qui excitent le rire. Quoiqu'il se: trouvât forcé d'accorder quelque chose au mauvais goût, il n’en mérita pas moins, dès-lors, la réputation d'être regardé comme le premier comique de la- province. Monnet, directeur de l'opéra comique venait de faire une ré- forme, considérable dans son spectacle, et pour le. fonder d'une manière solide, il employait tous les moyens propres à at tirer près de lui les meilleurs acteurs, «On « m'avait; dit-il dans ses mémoires, in. « diqué comme Ja meilleure troupe de la « province celle du ‘sieur Duchemin à « « Rouen, où était le sieur Préville, qui « remplissait déjà avec distinction.les ro- «les de. valets: j'en voulus juger par moi- « même et jallai à Rouen. Les talens, «.lesprit, le naturel et la gaité de cet «acteur firent une si grande impression Co) « sur moi que Je n'étais plus occupé que « de la mavuière dont je m'y prendrais « pour l'attacher à mon spectacle. Je le « laissai le maitre de fixer ses appointe- « mens, et de faire tout ce qui pourräit « lui être agréable dans l'émploi qu'il oc- « cuperait. Aussi flatté de ces avantages, « que du désir d'être à Paris, il s'engagea « pour la foire St. Laurent. Il était assez naturel que ce jeune ac- teur eût l'ambition de se faire connaître dans la capitale; mais le premier théâtre de la nation était le seul qui püt con- «venir à son talent, et les circonstances _s’opposant alors au dessein qu'il avait eu d'y débuter, dès quil eut rempli le court engagement quil avait contracté avec Monnet, il prit la direction du théä- tre de Lyon. | | C'est dans cette ville polie, où le goût pour les arts est presqu’aussi universel- lement cultivé qu’à Paris, que Préville se perfectionna. C'est là qu'il apprit que l'homme chargé de donner, pour amsi (9) dire, une nouvelle vie aux chefs-d'œuvre des grands maîtres de l'art dramatique, doit s'identifier avec eux , et ne point sa- crifier l'esprit du rôle au désir de faire rire la multitude en substituant à la gaité franche et naturelle celle de la folie, De ce moment, peintre fidèle de la naturel ne s'écarta plus de la vérité et fut cité comme le modele parfait des valets de la comédie. Chéri, des Lyonnais comme il l'avait été des habitans de Dijon , Stras- bourg , Rouen etc., rien ne manquait à sa gloire, mais il manquait à celle de la scène française. Poisson venait de mourir, il était ques- tion de le remplacer, La province offrait quelques bons comiques, et quoiqu'on ait pü dire du talent de Poisson, il était peut-être plus difficile à remplacer que s1l eùüt été acteur sans défauts La cour et Paris étaient habitués à son jeu gro- tesque, mais vrai; on l'était même à un certain brédouillement qui semblait faire partie de son jeu, et qui effectivement (ro) le rendait quelquefois tres bouffon. Enfin on jeta les yeux sur Préville: un ordre de début lui fut expédié; il parut sur la scène, le 20 septembre 1753, dans le rôle de Crispin du Légataire. Dans ces beaux Jours du théâtre fran- amateurs ne manquaient pas de s’y ren- dre, et le débutant, après la représen- tation, était jugé, dans le café Procope, presque sans appel. Disposition, nullité, moyens ingrats, talens formés, tout y était analysé, classé, Préville parut: le publie, comme je l'ai dit, habitué au jeu et au masque de Poisson, fut surpris de la tournure élégante, de la grâce et de l'aisance du nouvel acteur. Ce n’était rien de ce qu'on supposait pour remplir un role de comique; et déjà quelques Orow- haha se faisaient entendre: Préville parle : on l'écoute avec l'intention de le trouver eu tout hors de son rôle; mais bientôt il force l'auditoire à applaudir à la vérité de son jeu; et la critique, houteuse de çais un début était une époque; tous les Æ Çue ) s'être montrée plus qu'injuste, répara ce \ tort de la sotte prévention ; en mélant ses applaudissemens à ceux de [a mul- titude: | Ses débuts furent suivis du même suc- cès. Ce fut surtout dans le Mercure ga- dant; pièce presqu'oubliée, et qu'il remit au théâtre, qu'il donna des preuves de la sublimité de son talent: il y remplis- sait six rôles différens : aucune pièce nou: velle n’attira autant de monde, On vou- lut la voir à la cour où elle eut aussi plusieurs représentations; Louis XV les honora toutes de sa présence, et, le 20 octobre, à la sortie d'une de ces représen- tations, il dit au maréchal de Richelieu, premier gentilhomme de la chambre en exercice : «je recois Préville au nombre de mes comédiens, allez le lui annoncer». Le maréchal vint porter cette agréable nou- velle! au: comédien qui, énivré de la gloire d'avoir contribué aux plaisirs de son roi de manière à en être particulièrement re- marqué, l'était aussi de celle d'être at- (2) taché pour jamais au premier théâtre de l'univers. Le nouvel acteur eut bientôt fait ou- blier Poësson. Son jeu fin, spirituel et surtout naturel fixa d’abord l'attention publique, et força le spectateur à conve- nir que les rôles à livrée et les Cris- pins, jusqu'alors défigurés par la charge, ramenés à ce qu'ils devaient être, égayaient l'esprit sans distraire l'attention qu on doit aux premiers rôles d'une pièce. | On est acteur, mais on n'est pas co- médien: si Préville füt mort dix ansaprès son entrée à la comédie française, il euùt emporté avec lui la réputation d'un ex- cellent acteur; à cette époque cette por- tion de gloire lui parut insuffisante, il voulut mériter le titre de comédien , etil le mérita, mais à force d'études, car la nature ne crée pas plusieurs hommes dans un seul. Elle lui avait donné toute la gaité, toute Ja finesse, toute la viva- cité qui constituent un bon valet de co- inédie. Entre cet emploi et ceux dits à (13) manteaux, financiers, tuteurs ou amans, il n'existe aucun rapport dans la manière de les jouer. Chacun de ceux-ci a ses nuances particulières ; l'homme intelligent les conçoit toutes, il peut même lesindiquer à de jeunes élèves; mais remplir tous les rôles avec le plus grand talent , voilà le sublime de l'art, voila ce qui distingue le véritable comédien de l’acteur. Turca- ret, le baron de Hurtley dans Eugénie, le Médecin du Cercle, le Marquis dans le Legs, le Bourru bienfaisant, Antoine dans le Philosophe et mille autres rôles tout aussi éloignés de celui de premier comi- que, (emploi que Préville tenait à la co- médie), furent les monumens de sa gloire et lui méritèérent en France la juste dis- tinction dont Garrick jouissait en Angle- terre, je. veux dire d'être placé sur la ligne de ARoscius. Savoir tour-à-tour ar- racher le rire à l'homme le plus sérieux, et des larmes à l'être le plus insensible ; se montrer sous les déhors d'une bon- hommie qui était effectivement la base de (14) son caractère, et bientôt sous ceux d'uné fatuité miguarde qui paraissait ténir en: core plus au caractère de l'acteur qu'à l'esprit de son rôle; puis amoureux et timide au point d'inquiéter le spectateur et de lui faire craindre qu'il n'échouât dans ses projets; vrai dans tout, même dans l'ivresse, au point de tromper un homme qui devait s'y connaître; (*) plai sant dans les valets, sans bouffonnerie : plein de grâce et de finesse dans tous ses rôles : enfin , véritable Caméléon, Préville scut prendre toutes les formes. | Dans quelque circonstance qu'on le sui- ve, par-tout on le trouve supérieur au commun des hommes, d'une probité ins tacte, délicat sur ses liaisons, modeste dans sa vie privée, aimable et spirituel dans sa société, ami tendre et sensible, : conteur agréable, acteur sublime et sur: e — . (9) Tout le monde connait l'anecdote du soldat. en faction sur le théâtre de Fontaine-bleau un jour que Préville jouait le rôle de la Rissole. M 2. UT À : RUES: ) tout exempt de ce vice honteux qui sert ble inhérent à l’état de comédien, je veux dire la jalousie, personne ne rendit jus- tice plus que lui aux talens de ses cama- rades, personne n'encouragea avec plus de plaisir le débutant timide en qui il feconnaissait l'amour de l'art. Que de co- médiens il a formés! combien lui ont eu l'obligation de leurs talens ou de les avoir préservés de ces défauts dont on ne se corrige jamais quand où en a contracté l'habitude! et combien ont ajouté la sot- tise à l'ingratitude, en ne s'honorant pas de devoir à ses lecons ce qu’ils valaient! jen excepte Dazincourt. qui se montra toujours reconnaissant, même- lorsqu'il pouvait s'en dispenser: car c'est plutôt en profitant de la science du jeu de Pré- ville qu'en en recevant des lecons qu'il parvint à se défaire d’une habitude con- tractée dans la province: c'était de se livrer à la charge: ce qui fut un sujet de critique lors de ses premiers débuts à Paris. Étrangér à toutes les intrigues dé cou- (16) | lisses il s’en était garanti jusqu'à l'époque où M. de Beaumarchais qui avait aban- donné à la comédie les deux premières pièces qu'il avait composées, demanda après trente-deux représentations du Bar- bier de Séville (*) (en 1775) compte du produit de cette pièce, et réclama ses droits d'auteur. Cette demande , à laquelle les comé- diens ne s'altendaient pas leur causa un peu d'inquiétude. Ils s'étaient imaginé (*) Cette pièce primitivement destinée au théâtre de l'opéra-comique, était ornée de couplets sur des airs espagnols et sur des airs italiens. L'auteur lut cetté pièce aux comédiens dits Italiens: elle fut refüsée. Le soir l’auteur soupait chez une femme de beau+ coup d'esprit avec Marmontel, Sedaine, Rulhieres; Chamfort etc. il leur annonça que sa pièce qu'ils connaissaient d'après les lectures qu'il en avait fai- tes dans différentes sociétés avait été refusée au théà- tre des Chansons. On l’en félicita , en l’assurant que les comédiens français ne seraient pas assez dépoura vus de sens pour imiter messieurs du Théâtre ita= lien, et qu'il n'y aurait que les couplets de perdus: L'événement a prouvé qu'on avait raison, LA 7; f ‘2 ONE e «., * 10017) que M. de Beaumarchais en agirait avec eux comme il avait fait pour ses pièces précédentes, c'est-à-dire qu’il leur en aban- donnerait les recettes entières ; sans éxiger de rétribution. L'époque à laquelle M. de -Beaumarchais formait cette demande était précisément celle où il venait de s'élever, entre les comédiens et plusieurs auteurs, une discussion dans laquelle M. le maré- chal de Richelieu avait prié M. de Beau: marchais de vouloir bien intervenir. Il l'avait invité à porter un œil attentif sur les droits des auteurs, qui se disaient lésés dans leurs justes prétentions, à tâcher d’éclaireir les faits, à lui faire part de ses réflexions, et enfin à chercher un moyen, de concilier. les intérêts des uns et des autres. M. le maréchal, pour mettre M. de Beaumarchais à même de pouvoir statuer avec connaissance de cause dans cette affaire, avait écrit aux comédiens de lui communiquer leurs livres de receite et dépense-de plusieurs années. Ils lui répondirent lorsqu'il se présenta à’ leur 2 (18) a assemblée pour avoir, d’après la lettre de M. le maréchal, communication de vait pas lui transmettre un droit que lui même n'avait pas. Il y avait plus de six mois que M. de Beaumarchais leur avait demande compte des représentations du Barbier de Séville, et ce compte ne venait point. Enfin un jour à leur assemblée, d'où Préville avait tou- jours grand soin de s'absenter, ne vou- lant pas se méler à cette discussion, Molé demanda à M. de Beaumarchais si son intention était de donner sa pièce ‘à 14 comédie ou d'en exiger les droits d'au- teur. Il répondit en riant , comme Ssa- narelle : je la donnerai si je veux la don- ner, et je ne la donnerai pas si je re veux pas la donner; ce qui n'empêche pas qu'on ne m'en remette un compte: Molé insista, et dit, si:vous ne la don- nez pas, monsieur, dites nous, aumoins, combien de fois vous désirez qu’on à joue encore à votre profit; après quoi leurs livres, que M. Île maréchal ne pou- L NT. ANUS 2. 4 (19) | elle nous appartiendra. Voulez-vous qu’on la joue à votre profit encore six fois, huit fois, même dix? Parlez, — Puisque vous me le permettez, dit M. de Beaumar- chais, je demande qu'on la joue à mon profit mille et une fois. La plaisanterie ne fut pas du goût de tout le monde, et M. de Beaumarchais se retira. Deux mois après , Désessarts lui apporta au-nom de la comédie 4,906f résultat de son droit d'auteur sur trente deux repré sentations du Barbier ‘de Séville, et en lui présentant cetté somme, il lui dit que les comédiens ne pouvaient offrir à MM. les auteurs qu’une côte mal taillée. Mais M, de Beaumarchais voulait une côte bien taillée et il refusa l'argent, parce qu'il vou- lait qu'on y joignit un compie exact des recettes qu'avaient produites les trente: deux représentations du Barbier de Séville. Que le refus des comédiens de fournir ce compte fut juste ou non, c'est une question qu'il ne mapparüent point de (20) décider ; mon seul but est de disculper Préville d’être entré dans les discussions d'intérét que les comédiens eurent à cette époque avec M. de Beaumarchais et plu- y sieurs autres auteurs. Forcé par sa qua- hté de sociétaire d'apposer sa signature aux divers écrits et lettres qu'occasion- nérent ces discussions, 1l en gémissait avec ses. amis particuliers. Personne ne fut moins intéressé que lui. Un seul ex- emple suffira: pour décider à cet égard le jugement qu'on doit porter sur son dé- sintéressement, et cet exemple est posté- rieur à la discussion pécuniaire qui eut lieu pour le Barbier de Séville. Les comédiens repétaient les ARSACIDES, tragédie en six actes: ce n'était pas l'ou- vrage de six jours mais l'ouvrage de trente ans. Cette pièce dont Préville, lors de la lecture , n'avait compris ni Île sujet ni le plan, et qu'il n'entendait pas plus aux répétitions qui s’en faisaient, mais dont- il admirait, comme il le disait plaisam: ment, l’éternelle déraison, avait été reçue at (ar) con ne sait. pas. pourquoi. (*) A force de ui entendre dire qu'à la représentation les. acteurs seraient plus bafoués que l’au- teur pour avoir reçu une tragédie qui ne serait pas même admise sur les tréteaux de la foire ,. on fat forcé de convenir qu'il L'AUEE EE et chacun se. rangea de son _ ‘ avis, une seule actrice exceptée. Mais com- ment annoncer à l’auteur qu'on ne jouerait . pas sa pièce?, Messieurs, dit Préville, notre intérêt doit marcher aprés la gloire de notre théâtre. Ce ‘serait le prostituer que de le faire servir à la représentation d'une | pièce, qui n’a pü être acceptée par vous, Je vous en demande pardon, que dans un moment d'entiere distraction ; l’auteur sera plus sensible, j'en suis certain, au son de l'argent qu’à celui des sifflets. Je me charge de lui prouver que sa tragédie ————— (*) La reine demandait à Lekain, comment. fai- saient les comédiens pour recevoir de mauvaises pièces: madame, lui répondit-il c'est le secret de la comédie, , serre « universellement FE c mier. acte. Quant à moi i la seule idée! #8 À peut nous soupçonnér d' avoir reçu un pa “à à reil ouvrage, ‘d'après notre “examen, m'as 4 4 flige et blesse mon amor-propre à Rs mr poiut, que pour décider: l'auteur à À se ER RE Yi à sister, de la représentation de sa pièce! Je Jui offrirai la moitié dé fa part RUE à ‘ dois avoir à Îa fin dé cette année.» ù A Les comédiens ne voülurent HR à ni Pré ville fût seul à faire un sacrifice, et l'ou décida que chacun contribuerait ee lement pour fure à l'auteur des ARSAS , Pd CIDES une somme qui put l’ engager à aban: ne | donner ses prétentions À se faire jouer. Préville, comme il s’en était chargé, x Jui porta ‘la parole au nom de la comé- die; et si quelque chose l'étonna plus: que ne l'avait fait la réception de cette 1 pièce, ce fût le refus de l’autenr d’ac- | céder à sa proposition. Il voulut être joué, et le fut effectivement, Cet auteur | oirait- on: | qu'après une telle sen tion 4h l'aut ur ne se tint. pas pour battu. Sui- LS l'usage ik: préténdit que sa pièce était | à Mie. parce qu'elle avait été mal jouée. TA lendemain il se présenta à l'assemblée des. MATE que. ma pièce. aura le plus bril-. comédiens : nie vous réponds , leur | laut succés, si-vous voulez me per mettre | 4: vous dæ: faire répéter,.et si par une Fa . fatalité que je. ne saurais prévoir l'effet . FE: Ve .& ve % Lu nexpépondait pas à mion attente, 7 ai 1% 7. * ' os À | w de À we (24) un septième acte tout prét qui vous re- levera. 4 Cette fois les corne ne furent pas de son avis; mais par respect pour son âge, et peut-être aussi pour se punir de leur complaisance d'avoir reçu sa pièce, on lui remit une somme d'argent qui le consola de n'en avoir vu qu: une seule représentation. D'après cette anecdote ‘on peut juger du caractère de Préville qui était trop franc, trop Juste et irop éloigné de tout idée in- téressée, mème dans son intérieur, pour entrer volontairement sos des discussions entièrement opposées à ses principes : com- me sociétaire Je l'ai dit, il ne pouvait pas refuser d'être en nom dans tout ce qui avait rapport à la comédie. Dans sa vie privée le seul reproche qu'on pouvait lui faire , et qui, vient éncore à l'appui de son désintéressement , était de ne point connaitre le prix de l'argent. Il ne savail point refuser à celui qui lui de- mandait un service pécuniaire, et savait | À | | ‘ Mass encore moins add à ses ébirérrts ‘indélicats l'argent qu'il leur avait prêté et qu'ils oubliaient de lui rendre. Que de sommes il a englouties de cette manière! + Plusieurs de ses camarades , et Lekain surtout, qui savait combien il était con- . fiant et'bon, l’exhortaient, mais inutile- ment, à s'occuper de l'avenir, et à deve- nir un peu économe. » Ne compte passur ‘le publie, lui disait un jour Lekain , avec beaucoup d'humeur: il verra ta ruine, et n'en sera pas touché; trop heureux en- ‘core s'il ne l’attribue pas à tout autre mo- tif qu'au véritable ! Ce parterre qui semble t’adorer te crie à chaque instant, même au milieu de ses transports, amuse moi et crève. C'est à toi à te ménager une existence honorable quand le moment de ta retraite sera arrivé ». Mais Préville fidèle à ses habitudes, conserva sa bizarre in- curie dans ses dépenses, qu'augmentaient encore,. tantôt le goüt-du rabot, tantôt celui de la truelle et tantôt celui des tableaux. Son domestique, tont aussi in- (26 SNS souciant que lui, l'a servi trente ans sans convention de gages , Sans arrêté de comp= tes, sans autre arrangement que celui de ? dire à son maître; rronsieur donnez-mot de largent. Ce domestique, comme “lé petit nombre de ceux qui sont plus at- tachés à leur maitre qu'à leur propre in- térêt , rapportait à lui ce .qui était per- sonnel à son maitre. Nous n’en pourrons plus demain disaitil, y a-t-il du bonisens à cela? Nous: jouons le Barbier.de Seville et le Mercure Galant; mais Age a de quoi crèver. Préville fut le premier acteur que Ia cour plaça à la tète d'une école de dé- clamation pour laquelle elle donna douze mille francs (en 1974 je crois); depuis il fut nommé membre de l'institut, et ce choix qui l'honora , honora aussi ceux qui concoururent à sa nomination. FE Aprés:trente ans de travaux glorieux, il est permis de désirerle repos, ou, au moins, de diminuer le poids de ses occu- patious. C'est une tâche bien’ suffisante 627 ) pour p hétnine qui veut strictément la rem- plir, que celle de présider une école de déclimatiôn et d'y donner tous ses soins. L'art d'enséigner est peut être le plus dif: ficile de tous les arts Le musicien le plus habile ,* le peintre le plus savant dans ses compositions, l'acteur le plus exercé ne sont pas toujours ceux qui pourraient don- ner. les meilleurs lécons à de ‘Jeunes ele- ves. ‘On est fidèle aux ‘principes de art qu'on cultive et l’on ‘n'est point en état de Îles démontrer , c'est une science nou- velle dont il faut faire l'étude. C'estice que fit Préville lorsqu'il fut désigné par la cour pour être à la tête de l’école de:décla- mation. Il lui restait peu de chose à faire pour ‘mériter le titre de grand professeur, parce que toute sa vie il avait fait une étude approfondie de son art, et que sa-, chant en faire l'application, il n'avait plus besoin que d'un peu de réflexion et de pa- tience pour enseigner aux autres ce qu'il savait si bien. Aussi Préville mérita-til, sous le rapport de l’énseignement de l'art L d ee é% (28) du:comédien, les plus grands éloges, et l'on peut lui faire le juste reproche d'une modestie déplacée, pour n'avoir pas dès- lors publié des leçons qui pouvaient foi. mer de grands maitres. Ce qui nous reste de son cours sur l'art théâtral fera regretter de n'en avoir pas eu le cours complet : il eût sans doute été mieux fait que tous ceux que nous connaissons. L'homme qui pouvait puiser en lui les plus beaux ex- emples et les réunir aux préceptes était seul capable de remplir dignement la mis- sion de précepteur de son art. Le 1.er avril 1786, Préville obtint sa pension de retraite du théâtre français. Ce jour, gravé dans ma mémoire, en fut un de deuil pour les amis de la scène française. Mme Préville, M.elle Fannier, et Brizard faisaient ce même jour leurs adieux et leurs remercimens au public qui regrettait en eux des talens qu'il ché- rissait depuis long-tems. M.me Préville avait débuté aux français la même année que son mari (en 1793}. . « ‘ (29 } Sa taille majestueuse , sa figure aimable et noble convenaient parfaitement aux rôles de grandes coquettes qui étaient son em- ploi. Nulle actrice n’offrit un modèle plus parfait de décence, de bon main- tien, d'un travail assidu , d’une diction pure et de ce ton de bonne compagnie, si difficile à retrouver. Ce fut elle qui décida son mari à quitter le théâtre.-Il emportait alors avec lui, dans toute leur fraicheur, les lauriers qu’il y avait ceuillis. Mlle Fannier joignait à une charmante figure le plus précieux talent dans les rôles de soubrette. Enjouement, vivacité, fi- nesse, elle possédait toutes les qualités nécessaires pour bien remplir cet emploi; aussi n’y eut-il jamais à son égard ni ré- froidissement ,. ni partage d'opinion de la part du public. Brizard, l'acteur le plus vrai dans tous ses rôles, avait montré dans sa jeunessé un goût décidé pour la peinture , et sem- blait par son talent précoce être unique- (3) ment destiné à cet état. Élève de Carlo Vanloo, premier peintre du roi, il fitdes is si rapides sous ce grand maitre, qu'à l'âge de dix- Bit aus il füt en état de concourir pour le grand prix. Mais | Ë nr : | la nature l'appelait à suivre une: autre carriere. Mie Destouches directrice de spectacle, qu'il avait connue, à Paris, et qu'il revit à Valence, où l'on venait de former un camp de plaisance, ét où elle s'était rendue avec 5a Hope l'engagea a remplacer un acteur qu ‘une indisposie tion grave empéchait de remplir son rôle dans une tragédie dont l'iofant d'Espagne désirait la représentation: Brizard avait déclamé devant elle quelques couplets de ce rôle: il accepta la proposition et ce moment décida de sa destinée Après aVOIE retn pli long-tems les premiers rôles de la tragédie dans la province, il reçut un or- dre du roi pour venir débuter à Paris. Les plus grands succès couronnerent ses débuts, et son adnussion à la comédie fut d'autant plus avantageuse qu'à cette. NEO F Te En * (3) époque l'édiblei de premier tragique y était médiocrement LEpA DAME PA. . Distingué par son talent Brizard l'était ‘encore plus par la régularité de ses mœurs. ComMé Préville, il emporta dans sa re- traitée l'estime générale. Ce fut lui qui couronna M. de Voltaire lorsqu'il vint à la comédie française. Le poëte dans le moment où il lui posait la couronne sur la tête se tourna et lui dit: z20nsieur vous sé faites regretter la vie : vous m'avez fait voir dans le rôle de Brutus des beautés que je n'avais pas apperçues en le com- posant. Et c'est cet acteur qu'un célèbre critique accusait de n'avoir point d'intel- ligence. M. de la Harpe avait donc. ou- blié que de concert avec M.lle Clairon ét Lekain il avait été le plus ardent zé- lateur pour la réforme des costumes usi- tés de son tems, et qu'il fut scrupuleux sur la vérité des siens jusqu’à refuser de jouer à la cour dans une première repré- sentation d'OEdipe chez Admete, parce que l'habit qu'on lui avait apporté pour ( 32) remplir ce rôle était bleu céleste: (c'était la cour qui fournissait. les habits) cepen- dant ne voulant pas faire manquer le spectacle il en prit un de laine destiné pour des confidens. Fidele à l'esprit de ses rôles, même dans des événemens où lon n’est pas toujours maitre du premier, mouvement, le public l'avertit un jour que le feu prenait aux plumes. de son casque. Il l'ôta avec noblesse, et conti- nuaut son rôle avec le plus grand sang- froid, il le remit tranquillement à son, confident qui n'osant pas, comme lui, risquer de se bruler la main le laissa tomber. | Qu'on me pardonne cette disgression sur un acteur d'autant plus chéri du pu- blic quil est encore à remplacer sur la scène française, Il tenait de la nature des qualités physiques propres à son emploi qu'il est difficile de rencontrer dans un même sujet. En quittant le théâtre en 1786 Préville était loin de prévoir que cinq ans après {a 1] vrE Fe v Mr 14 A". # “ la g 4 4 à Si æ | RÉOTRES CE. d EN 6 389 ses anciens :camarades auraient recours à lui pour rappeler un public que cha- que jour voyait séloigner. En annonçant que ce vieil ami de Thale allait reparaître sur la scène, les comédiens français. se flattaient de ramener ce public qui se partageait: alors entre eux et le théâtre de: la: rue de Richelieu. Ils ne-furent pas trompés dans leur attente: le, jour où.il devait ‘paraître >. Un concours :prodigieux _de spectateurs se porta à l'Odéon ( 26 no- vembre 1704 )… On donvait la partie: de chassetde : Henri IV. Revoir Préville.dans le rôle: de, Michaud, et M.me Préville dans celui de Margot, c'était revoir les beaux jours .de la comédie.: Cet acteur chéri parut , et les transports qu'il excita furent si vifs qu'il ne fut, pas maître d’une émotion qui lui Ôta la possibilité de pro- noncer un, mot; mais bientôt reprenant ses esprits , il joua son rôle avec cette sensibilité vraie, cette gaité franche et sur: tout ce: naturel qui l'avaient toujours ca- - ractérisé. Mime Préville n'obtint pas moiris 3 (34) : ": de succès et partagea les applaudissemens prodigués à son mari. Pendant le cours des cinq années ré- volues depuis sa retraite, 1l avait éprouvé plusieurs incommodités de son âge : sa vue s'était affaiblie, et cet avertissement qu'il avançait dans sa carrière, lui donnait des idées noires dont on avait peineà le dis: traire. Sa mémoire ne lui était plus fidèle; des chagrins réels s'étaient melés aux fan- tômes que se créait son imagination , en sorte que souvent il avait des absences d'esprit qui décidèrent ses amis à l'éloigner de la scène. Il ne fut pas difficile de l'y faire renoncer: il sentait son état. Le pre- mier des rôles dans lesquels il avait dé- buté, le Mercure Galant, fut le dernier par lequel il termina entièrement sa car- rière dramatique. La salle retentissait en- core des applaudissémens qu'on venait de lui donner dans le rôle de la Rissole, et il entrait dans la coulisse soutenu par Champville son neveu. — Doublons le pas, lui dital, nous voici dans la forêt, la nuit (38) est sombre et nous aurons peine à noùs enitirer. (Il se croyait dans la forêt de Senlis >: Eh! non; mon onele. lui répori- dit Champville : cest une toile peinte qui vous-trompe: vous venéz dé jouer là Ris- sole; vous: traversez le théâtre pour aller vous habiller en procureur et en alibé, «Préville serrant la main de son neveu tu as raison: ne me quitte pas». Le même génie qui l'avait accompagné dans tous ses rôles lui prêta dé nouvelles forces , et il termina cette représentation comme il l'avait commencée; mais en sortant dela scène : c'en ést fait, dit-il à son neveu, je ne jouerai plus la comédie, | Préville ne pouvait pas ternir la gloire qui s'était acquise, mais il pouvait, s’il eût continué à jouer encore quelque tems, laffaiblir aux yeux de ceux qui ne l’au- paient pas vu avant cette époque où Ja nature l'averiissait qu'il était tems de goù- tér le repos dû à ses longs travaux, Cet acteur était dans le monde ce qu'il 4 eüt été dans quelqu'état qu'il eût pü em- 1.68) brasser ; je veux dire, simple däns.son habillement, modeste dans:ses gouts; gai, mais décént' dans sa conversation, Jamais un seul mot qui eût pü effaroucher la pu- deur ne sortit de sa bouche. Respecté , aimé et estimé de tous ses camarades, il n'avait de liaison véritable qu'avec ceux d'entre eux dont les principes se trou- vaient en ‘conformité avec les siens: Sa société habituelle était: composée d'hom- mes de lettres, d'artistes distingués et en général de personnes dont l'état ne s’'é- loignait pas du sien; soit par les honneurs, soit par la fortune: celle des grands ne pouvait pas convenir à son caractère : il n'avait ni l’art de flatter, ni celui de dé- guiser sa pensée, ef, il n'était comédien que sur la scène. Enthousiaste de son art; mais convaincu qu'il devait une partie de sa gloire aux auteurs dont:il animait les chefs dœuvre, nul acteur ne rendit à ceux-ci plus de jus- tice que Jui; nul n'honora plus que lui - leur talent. Sa réponse à une lettre que lui (37) adréssait, M. M... , fils d’un avocat-général auwparlement de... qui voulaitse faire co- médien, en sérait une preuve convaincante, lors «même que: sa profession de foi sur ce porn n'aurait pas été connue. » Ce jeune homme était venu à Paris pour y faire son droit: destiné à rémplacer son père et par conséquent à parler un: jour en public, il avait pris pour,maiître de déclamation Courville, ancien répétiteur de rhétorique au collège des Grassins , et alors attaché à la die française, où il remplissait les rôles à Manteaux, rôles que, par parenthèse, il raisontiait fort bien, ainsi que. tous ceux dela comédie; mais dans lesquelsil était détestable, parce que, malheureusement pour lui, personne ne.fut doué d'un organe aussi ingrat que le. sien. Mais comme maitre de:décla- mation Courville: était le meilleur':choix qu'on put faire en ce genre..M. M... allait prendre ses leçons chez hu et plusieurs fois il. avait eu l’occasion d'y rencontrer ‘Préville, (38) Par uñeraison dont-il rend compte à la fin de sa lettre il avait crû devoir de- mander conseil à Préville de préférence à Courville sur son projet de se faire co- médien.. "1% RAC a Voici sa lettre. « Dépuis un an queje suis à Paris, j'ai partagé ‘mon tems entre l'étude du droit ét celle des grands maîtres de la scène francaise. C’est le charme que Vous, Molé, Brizard, Lekain repandez sur ces chefs- d'œuvre de l'esprit humain, qui a aug- menté mon admiration pour eux: Me con- tenter, en les lisant:, de cette admiration, voilà, sans doute, tout ce que je devrais faire, puisque, par le hazard dé ma nais- sance je suis destiné à un état dont la gra- , vité contrasté singuliérement avec celui de | comédien : €t cépéndant c’est à ce dérniér état que je me sens appelé: Dans ce mo: ment le préjugé seul me retient encore, mais ce préjugé est-il fondé ? Voilà Ia ques: tion que je me fais, et c'est à vous mors nés médias ss cé pots té D. à déteste. doté tn DO Mie he (:39 ) sieur, que je m'adresse pour fixer mes idées. . :,, ét be mul te «Chez les Grecs et chez les Romains le théâtre fût dans son principe un objet de patriotisme et de réligion. Je sais qu'il finit dans l'empire grec par dégénérer en un vil batelage; je sais que: dans les pre- miers tems de leur espèce de regénération en France, ils inspirèrent un juste scan- dale aux chrétiens, et que l’indécence des vils histrions, qui se montrèrent alors en public, rendit pour Jamais l'église enne: mie du théâtre. Mais Corneille, Racine, Molière, etc. etc. n'ont-ils pas, effacé ces taches honteuses d'un siècle grossier? n’ont- ils pas élevé le leur à la plus haute gloire nationale ? et cette gloire ne. rejaillit-elle pas encore sur le nôtre ? Si le feu sacré de leur génies ne se perpétue pas dans les écrits qui suivent les leurs, c'est. que la nature, prodigue en tout, n'est avare que lorsqu'il est question de procréer un de ces êtres quelle destine à l'instruction de tous les siècles, EL 1 ( 4o ) «Si l'hoïnmé dé génie qui sacrifietses veilles à la splendeur de la scène attend toute sa gloire de ses succès lorsqu'ils cou- ronnent ‘son travail, quelques étincelles de cette gloire, on n’en satirait douter, sont dues à l'acteur qui a embelli son ouvrage du charme de la représentation ; ‘et, dans ce Cas, ne sé trouvé-tl pas identifié avec celui dont-il à mis l'œuvre en action ? L’ac- teur en exprimant la pensée créée par Pau- teur dramatique éprouve une élévation d'ame qui lé met au niveau de celli ci: sa ‘pensée devient la sientie. Si l’auteur comique peint ‘à nôtre imagination les tra- vers ‘et'iles ridicules ; les ‘vices ‘et les pas- sions honteuses,, l'acteur ên scène ajoute à l'énergie du tableau en lur donnant la vie. Je lis ce que peuvent dire et faire un aväré/, ‘un prodigue, un joueur, un bypocrite, mais je ne saurais saisir en idée toutes les nuances qui peuvent min- spirer une juste aversion contre eux. Je les vois agir: le tableau reste gravé dans ma mémoire: c'est un préservatif au be- ER ee ne me me Tete SAS Pre To (4,) soin contre ces vices honteux, Ma recon- _haïssance pour ce bienfait se partage en- tre l'auteur et l’actenr.® «En: pârtant de ce principe juste, je me dis, l'écrivain dramatique’et celui qui fait valoir ses chefs-d'œuvre par la représen- tation doivent être placés, dans Popinion, sur la même ligne, bien entendu que je supposé à ce dernier un talent transcen- dant, ou, au ke à le germe qui le fait éclore. «Je ne 'dois donc plus être arrêté par la honte injuste attachée à l’état dé co- inédien, et il me semble que je ne dois pas plus rougir de l'embrasser que je ne rougirais de composer des pièces de théi- tre, si la nature m'avait doué du génie nécessaire pour leur composition. «Vous jouissez de tous les agrémens at: tachés au titre de comédien, et dont le plus précieux est l'estime que lé public ä pour votre talent, M. Courville honoré, comme vous, par ce même public-pour ses mœurs, son honnéteté ét sa probité in: (42) tacte, mais abreuvé de dégoüts lorsqu'il parait en scène pourrait avoir de votre. état et du sien une idée moins juste que celle qu'il doit en avoir; cette raison m'a déterminé à m'adresser de préférence. à vous, certain que le conseil que vous me dorinerez dans cette circonstance sera dicté par l'impartialité ». Je suis, etc. Réponse. «Si je croyais, monsieur, que monétat fut incompatible avec les sentimens d'hon- neur et de loyauté dont tout honnête homme doit se glorifier, je l’'abandonne- rais à l'instant. Ce n'est donc pas sur un préjugé, mal fondé, que je motiverai ma désapprobation très prononcée relati- vement au projet que vous avez-de vous : faire comédien, mais uniquement sur vo- ire propre préjugé: « C'est une erreur impardounable que de vouloir assimiler l’acteur qui représente un rôle, à celui qui l'a créé; 1l y a sans doute, un grand mérite à le bien repré: (43) _senter,.mais cé mérite est fort au-dessous du talent de composer. Les productions du génie passent à la postérité, et le pu- plic ne se souvient plus le lendemain des tons de vérité que l'acteur lui a fait en- tendre la veille : ils se sont perdus dans le vague de Fair, sans laisser le moindre véstige auquel on puisse les reconnaître. Aucune comparaison ne peut donc s'éta- blir entre l’un et l’autre. Il y aurait folie à mettre Lekain sur la même ligne que l'auteur de Zaire: ce serait mettre en pa- rallèle Rubens et ses copistes. « Le grand mérite de l'acteur est de faire valoir les chefs-d'œuvre des grands maîtres: en cette qualité il participe de droit à ses lauriers, mais, il faut en con- venir , 1l n'est que l'interprète de leurs pensées et l'organe de leurs productions. Cette portion de gloire est assez belle pour qu'il puisse sen contenter». «Du tems des Sophocle et des Euripide, c'était l’aréopage qui se trouvait chargé du soin de juger les pièces avant leur repré- ME, 2 ae sentation. Ce tribunal qu'on disait avoir autrefois jugé les dieux ne croyait pas in- digne de lui, d'apprécier les chefs-d'œuvre de l'esprit humain. Le poëte dont l'ouvrage venait d'être reçu était couronné de lau: riers dans l'aréopage même et conduiten triomphe par toute la ville. Ce poëte après tous ces honneurs devenait, pour lordi- naire, acteur dans sa pièce. Alors, sans douté, l'état de comédien emportait avéc Jui l'idée du double talent de la représen- tation ét de la composition. « Aujourd'hui ces deux états sont trop distincts pour qu'on puisse les confondre. _«Sansétudes préliminaires, sans instruc- tion, sans génie, mais simplement avec quelques dons naturels et l'art de saisir les diverses manières et les tons de là so- ciété, on peut se hazarder sur la scène, et même y obtenir des succès: maiseüt+ on, avec ces avantages, Ceux qui COnSli- tuent le grand comédien, on ne sera pas encore en état de produire une seule scène tragique où comique, (45) «Je ne’ rougis: pas de le dire, parce que c'est une vérité. Comme comédiens nous devons notre état,. notre gloire et notre. existence aux auteurs. qui enrichis- sent Ja scène française de. Jeurs ouvrages ; sans eux nous ne serions rien, et sans nous ils seraient encore beaucoup. « En détruisant la base sur laquelle vous aviez établi parité de talens entre nous et l’homme ‘de lettres, je ne prétends pas pour cela rabaisser l'état auquel Je me suis voué: Part que nous professons en exige d'un autre genre , qui ne sont pas moins précieux pour l'instruction publique : en- core moins rabaisserais je mon état, com- me jé vous l'ai dit en commençant ma lettre, sous le rapport d'un préjugé, qui s'affaiblit chaque jour et s'effacera bien- tôt pour ne plus semontrer; car quel est l'homme de bon sens qui n’en sent pas toute l'injustice ? L'estime aecompagne le comédien qui sait la mériter, et je puis dire, san$ craindre d'être dementi, qu'il en est peu sur la scène française qui né (4) . jouissent pas de celle de tous les honné- tes gens. F'Ran «Si ce que vous venez de lire dissipe, comme cela doit-être, le prestige de parité, : mal fondée, que votréimagination s'était plûe à créer entre l’auteur et l'acteur ,ül vons restera, peut-être, contre l'état de ce: lui-ci ce préjugé, enfant de la déraison, dont je disais tout à l'héure qu'il n'était pas un homme de bon sens qui n’en sen- tit l'injustice: (*) conservez le jusqu’à ce- qu'un autre préjugé, qui est au moins fondé en raison, se soit profondément gravé dans votre esprit: c'est que dans l’or- dre social nous ne devons pas nous écarter de la route qui nous est tracée par nos pères. Destiné à siéger sur ces mêmes lys sur lesquels vos ayeux ont acquis uue gloire immortelle, ce, serait la profaner que de ne pas mériter, dans la même carrière, le même dégré de gloire « | Je suis ,: etc, e (*) Ce préjugé que rien ne Justifiait est, grâces à la raison, entièrement détruit aujourd'hui. PR A (47) Cette réponse de Préville prouve, com- me je l'ai dit, qu il honoraït le talent des auteurs, et n'avait pas le sot orgueil de se placer au-dessus d'eux, comme le pré: tend M. de Lah... dans sa correspon- dance avec le grand duc de Russie: elle prouve aussi que quoique zélateur d’un art qu'il proféssait avec. honneur, il ne s’aveuglait point sur son état au point de croire qu'il füt indifférent que l'homme né pour en occuper un distingué dans l'ordre. social, y renonça, parce que, sé- duit par un moment d'illusion , ou même avec un véritable talent, il se serait crü appelé à celui de comédien. J'arrive au moment ou cet acteur su- blime après avoir‘ vecu , honoré, bon, sen- sible, paya à la nature cètte terrible dette que nous contractons tous en naissant, Une vie sobre et gaie avait précédé sa mort douce et lente. Depuis quelques an- nées Sa tête s’élait affaiblie, et sa raison, reparaissant par intervalles, montrait le cœur et les désirs de cet excellent hom- (48) me: alors il faisait des.vœux pour la pros- périté de Fl'art théâtral: alors il désirait. la réunion des bons comédiens pour la gloire. du théâtre français. | : Ses dernières paroles sont encore gra- vées dans le souvenir de tous ceux qui l'ont connu. Répétons les. » Est-1l encore un théâtre français? EU Et le public?. PEN Je suis heureux... . | Il est mort à Beauvais, le’ 18 7-2 all 1800 âgé de 79 ans. (*) Bon époux, bon pere, Préville, daus les dernières années de sa vie,. “trouva. près de ses énfans ces soins touchans qui sont l'appanage des belles âmes! Vi- vant au milieu d'eux, ilknes'apperçut point dela diminution énorme qu'il avait éprou- vée dans sa fortune, réduite parle fait de (*) Il'est dans Ja vie de Préville des événemens dont je n’ai.pas rendu compte parce qu'ils tiennent à la révolution du théâtre francais: j'ai cru devoir n’en parler que lorsque je ferai, le tableau suceinct de cette révolution : il m'était presqu'impossible de les détacher de ce’sujèt, Mhinticu. au à ter 1) pour la prem retiré du théâtre. De 1 rez de qe ER avait ds. met me, à. qui : vie la Hits ee ue ae 24 une vieillesse exemte de toute. inquiétude peùtil éprouvé: ces: privations dont de nous ; fait, ‘uh à véritable besaimi Morin ends do tlou nues b J'ai dit. dpi qu il était conteur diable Sa mémoire étaitreffectivement meublée de toutes. des anecdotes théâtra- les, auxquelles là maniere dont- alles ra: contait ajoutait encore. à; ce-qu'elles pou: vaient avoir. de plaisant ou d'intéressant : elles perdraient de léur prix en les: im: primant ;. dabord, parce :qu'elles ne se raient plus soutenues par.la ‘tournure agréable qu'il savait leur. donner ; puis, parce que la plupart-de ces-anecdotes sont connues, quant au fond, Cependant quel- 16e * Re 27 €.(6bo ) ques unes ayant rapport à des citations sur la différente manière de Jouer de cer- tains acteurs de son tems, Je serai forcé d'en retracer le souvenir, qui ne peut pas déplaire à ceux de mes lecteurs pour lesquels elles ne seraient pas nouvelles, et qui seront agréables à ceux qui ne les connaissent pas. Au reste, Je serai très sobre de ces anecdotes et ne les rappor- terai, qu'autant qu'elles trouveront natu- rellement leur place en parlant des pièces de théâtre auxquelles elles auront trait. INB. Je mettrai dans les notes précieuses, fruits du travail de ce grand comédien, l'or. dre qui me paraîtra le plus convenable pour le lecteur; c'est le seul changement que je me permettrai: et si, à ses reflexions sur la déclamation, je mêle quelquefois les miennes, j'aurai pour garants les au- teurs dont les écrits, sur cet art, méritent les justes éloges qu'on en a faits. Li +” r ‘E K. 4 L CH) Je ne dirai pas que celui qui se distine à la scène doit consulter ses moyens phy- siques et intellectuels; car, quel est lhom- me, même parvenu à l’âge de la saine raison, qui ne soit pas dominé par une dose d'amour, propre plus ou moins forte, qui l'empêche de se bien juger? 11 est presqu'impossible de n'être pas indulgent pour soi même, et de ne pas se croire une certaine intelligence ; il l'est pres: qu'autant de ne pas s'aveugler sur ses for- mes , avec lesquelles on est familiarisé , ou sur certains vices de prononciation avec ‘lesquels on ne l'est pas moins, ét qui dès-lors n'en sent plus pour nous. Je dirai donc, c’est au maitre qui veut former un élève pour le théâtre à con- sulter avant tout, les moyens physiques et intellectuels de cet élève. Si la nature, ingrate envers lui, l'a disgrâcié de ma- nière à ce qu'il ne puisse pas masquer en: tiérement aux yeux du spectateur un dé- faut de conformation dans ses formes (*), a ee (*) On imagine bien qu'il nest point ici question MOPEL: 000 2 1 4 à AE hu (52) eüt-il en partage/ce germe du talent qui annonce, qu'en le développant, il peut devenir un excellent acteur, il faut qu'il renonce au théâtre. Il y éprouverait mille désagrémens avant que lé public;‘oubliant lhomme, ne voulüt voir en lui que le personnages et, daus plused’'une Circon- stance, il’se pourrait que son rôle, coin- cidant avec les accidens de! sa personne, les fit encore plus remarquer, et troublät, par ce moyen, une représentation à la- quelle ; jusqu'alors, on aurait donné la plus sévère attention. Chaque rôle doit avoir sa physionomie particulière. Une figure noble et 'sédui- sante, une taille bien prise, qui ne soit ni trop haute ni trop petite: telle’ doit- de ces défauts naturels, qui inspirent de la pitié pour celui qui en est affligé. Mais souvent un hom- me, dont la taille est bien prise, aura les cuisses et les jambes gréles , les genoux cagneux, une légère protubérance: tous défauts auxquels il est possible de remédier à la scène, avec encore plus de facilité que daris la société, en raison du point d'optique, EL ee PS PP à LE NOR êtré la conformation de l'élève qu’on de- stine aux premiers rôles d'amoureux, soit dans la tragédie , soit dans la comédie. Si: sa figure est imposante, si les formes de son corps sont moins élés santes, l'ém- ploi des ‘pères est celui qu'il doit pren- dre: Une figure sombre, un oil: vif ét pérçant, des formes en général pronon- cées conviennent pour remplir des rôles de. tyran, ou ceux qui exigent qu'on flap- | pe par l'extérieur. De la gentillesse , de la légèreté, l'œil malin, la taille dégagée, de! la volubilité dans Forgane, este dans tous ses mouvemens , sont des. avantages qui marquent, à celui qui les possède, sa place parmi les valets dé la comédie. Ces dons physiques sont déjà beaucoup pour Vacteur: mais ils seraient nuls pour som état, sil n'y réunissait celui sans le- quel‘il ne saurait jamais plaire: je veux dire l'organe. Pour peu que sa pronon- ciation soittembarrassée, il fera souffrir son auditeur, 1l le PAT UE parce qu'il l'oblhigera à une tension perpétuelle pour CS) saisir ses paroles à leur passage; et dés: lors un pareil comédien ne peut pas pré’ tendre, à être un jour compté parmi ceux qu'on cite pour des modeles: dans l’art théâtral. Le charme d'un bel organe est tel, que souvent il supplée au talent, ou, pour mieux dire, il captive l'auditeur au point de le distraire sur de véritables dé- fauts. | ) Un vice dans la prononciation n'est pas toujours inhérent à la conformation de la langue. Il dérive bien plus souvent des mauvaises habitudes contractéés dans l'ene fance, et, dans ce vas, avec une extrême attention sur soi-même, il est possible de le faire disparaitre. La volubilité avec la- quelle parlent quelques enfans, dégénère en un ôredouillement qui les rend, par la suite, injntelligibles. Destiné ‘ou non à parler en public, il faut se faire en- tendre, et pour se faire entendre, il faut s'accoutumer, de bonne heure, à parler doucement, à distinguer les sons, sous tenir les finales, séparer les mots, les (55) syllabes, quelquefois même certaines let- tres qui pourraient se confondre et pro- duire, par le choc, un mauvais son; s’ar- rêter aux points, aux virgules, et par- tout où le sens et la netteté lexigent. Cest le moyen de rendre sa prononcia- tion aisée et coulante. Cette étude doit- étre, la première à laquelle il faut appli- quer celui qu'on destine au theäâtre. C’est en suivant ce conseil qu'il rectifiera les vices d'une mauvaise habitude. Supposant donc. à l'élève la figure propre à l'emploi auquel on. le destine, lui supposant aussi l'organe tel qu'il n'y ait rien à y rectifier, 1l lui faut encore une mémoire imperturbable, Ce n'est point l'acteur qui doit parler, c’est celui dont-il représente le. personnage. Mais que de choses il reste encore au maitre pour le faire débuter avec succes! — La fausse intonation, et, surtout, la prodigalité comme l'ignorance de la valeur des gestes, sont les princi- paux défauts à, corriger dans un jeune homme, Mille gens croyent qu'il faut s’a- ; L Ne bandonner à Finstinct dans la déclama: tion, et qu'il n'ya point de réglespour: celle part re; bien des. gens le” croyent,” d'apres Baron, mais c'estune erreur que l'étude de Fart fait bientôt reconnaitre: Si tout: ce qui tient à notre naturel était parfait, non, sans doute, on neserait’ pas obligé d'en régler est mouvements ;° mais dans les arts l'objet est de polir, ou de fontufiér les facultés que”nous possé- dons, pour les porter plus sürernétit ànos' fins. «Les régles de l'art, disait Baron; me doivent . pas rendre le génie esclave! Elles defendent'd'élever les bras au-dessus” de la tête; mais si la passion! les y'porte, ils seront bien ». Ce grand-comédien rie voulait dire autre chosé s? non que le geste, tel qu'il soit, doit-ètre pris dans: la nature. 4 À oué Tout le monde connait les défis que: se faisaient entre eux! Cicerontet Roscius. L'orateur exprimait une ‘pénsée par des mots, le comédien l'exprimait surlechamp! par des gestes; lorateur changeait les mots, et ot | en; laissant la pensée, le comédien chan: _ geait des gestes et rendait encore la pen- sée: Voilà deux: moyens de s'exprimer qui se suffisent, à eux mêmes, et qui, réunis, ajoutent nécessairement de la force à l’un et. à l'autre. Les pantomimes représentaient ee piè- ces entières: avec le seul geste. Als-en fai- saient un discours suivi que les specta- teurs écoutaient pendant plusieurs heures. Ainsi la juste inflexion donnée aux mots, étant ‘accompagnée de l'action, y ajoute nn ornément de plus: On demandait à _ Démosthène quelle était la plus excellente partis de l’orateur? Il répondit laction : quelle était la seconde? l’action encore; la troisième? encore l'action: voulant faire entendre que sans l'action toutes les au: tres parties qui composent l’orateur’sont compiées pour peu de chose. 1] Favait trop sensiblement éprouvé hour n'en être pas convaincu. Cet orateur; le plus éloquent qui ait jamais été, malgré là force de son génie et la vigueur de son élocution, fut (38) toujours mal accueilli tant qu'il n'eut pas l’art de manier ses armes. La leçon quelui donna un comédien fut pour lui un trait de lumière qui l’éclaira et qui lui prouva que, sans l'action, les plus belles choses ue sont qu'un corps sans vie plus propre à morfondre l'auditeur qu’à l'échauffer. Ce n'est pas seulement aux acteurs et à ceux qui sont obligés de parler en pu- blie que l'étude de cet art est nécessaire. Quiconque veut lire les bons auteurs n’en sentira Jamais toutes les beautés, s’il ne. connait ni la valeur d'une inflexion, ni celle d’un geste. Les pièces de théâtre que nous lisons sont des corps inanimgs que lé lecteur doit faire revivre, s'il veutre- trouver les traits des personnages dont- on lui parle: il faut qu'il leur donne et la voix et les gestes qu'ils auraient eus dans la position dans laquelle on les lui représente; qu'il voye OEdipe se frappant le front et hurlant de douleur; qu'il s’en- flamme, comme Cicéron, contre les Clo- dius, les Catilina, Sans celà ce qu'il lit AS DO Aa he est pour,lui ce que serait un tableau dont les traits les plus marquans seraient ef- facés, et auxquels son imagination ne sup- pléerait pas en les remplaçant. “Tout homme à son geste qui est à lui, et à lui seul Cette propriété d'expression Jui-fait parler d’une maniere propre la langue qui appartient à tout le monde, et le net en état de s'exprimer avec une sorte de nouveauté, en se servant de mots qui mont rien de nouveau.-C'est ce char- me de nouveauté qui nous attache à cet acteur plutôt qu'à un autre. Donnez le . même rôle à deux hommes différens L'un nous plait, l'autre nous ennuie ; c’est que l'un joint au langage des mots, un lau- gage d'action qui est clair, précis, naïf, et que l’autre n'a que des gestes vagues, faux, ou d'un sens peu énergique. Pour ne point prodiguer ses gestes mal- à-propos, il faut se convaincre d'une vé- rité, c'est quil n’en existe que de trois sortes: le geste instructif, le geste indi- catif et le geste affectif. Le premier n'est ( 60 } autre que la parodie d’un personnage quel: conque. Le gesté indicatif marche avec toutes les expressions de notre discours: il fixe l'attention du spéctateur, et su p= plée souvent à la parole. C'est celui de tous qui exige le plus d'intelligence, puis- qu'il doit-être d'accord avec la pensée que nous exprimons, Le geste affectif estule tableau de l'âme: c’est lui qui sert la na- ture quand elle veut se développer, ‘et qu'elle se livre aux impressions“ qu'elle reçoit: c'est la vie des sensations quelnous éprouvons et qué nous voulons faire éprou- ver aux spectateurs. Maïs ce geste se'suba ‘divise en mille nuances différentes, parce que les passions, ayant leur langage par- ticulier, doivent, par la même raison, avoir le geste qui leur est propre. | Une langue quelqu'énergique quelque riche qu'elle soit, en mots ét ‘en ‘tours, reste, en une infinité d'occasions, ‘aus dessous de l’objet: qu’elle veut exprimer: 1l y a dés choses qu'elle ne rend qu'avec obscurité: elle ne fait souvent que des. | OR = LN CL. à SPA NOUS ME TRS | | | . | Lu | i L. | / - Le Yural " Qi . siaer ce qui doit étre peint, Un coup d'œil dit plus vite et mieux que tous les dis- cours. Une attitude, un maintien, nous exphiquent mille choses que l’auteur n’a pas pu exprimer, parce qu'alors il aurait été trop prolixe. Combien de scènes char- mantes qui doivent tout à l’art etau gé- nie de l'acteur, et qui, si elles m’avaient que les paroles ; ne seraient qu’une ébau- che à peine dégrossie ! Le langage: de la déclamation est aussi fécond et aussi ri- che qu'il est énergique. Il a des expres- sions pour figurer avec les paroles: Pas une seule pensée/qui nait son: geste et son ton; mais ïl faut, entre le geste et Ja parole, un accord parfait: je l'ai déjà dE is) à | La flexibilité des gestes et des tons existe dans les périodes comme dans les pensées et les mots. à 1 La période est-elle composée de plu- sieurs membres, il y a un ton qui an- monce le premier , un autre qui annonce l& second, un'autre le troisième, et enfin (16875 qui avertit l'esprit et l'oreille que le re- pos final et absolu va venir. Il y a, comme dans le stile, harmonie, nombre, variation de mélodie dans les gestes. Si l'acteur fait un geste discordant, un ton faux, s’il marque une chüte, om le siffle. S'il ramène éternellement les mé- imes inflexions, les mêmes finales, les me- mes mouvemens, l'attention du specta- teur est à l'instant détournée, ses ‘yeux s'éloignent de la scène. La variété est nécessaire dans la décla- mation en général, mais encore bien plus quand on répéte les mêmes choses "Le pauvre Homme .du Tartuffe, le Sans Dot, le Qu'allait il faire dans cette Galère ? se: raient rebutans s1ls ramenaient avec eux les mêmes retours de tons et de gestes. Apres avoir fait sentir la nécessité de l'accord parfait entre le geste et la pen- sée, cest avoir procédé à des qualités exr- gées, qui conduisent naturellement à tout ce qui doit consüutuer le comédien, 1 | ( 63 ) Les passions exprimées dans la tragé- die, sont limitées par le genre de ce poë- me : elles sont ou violentes ou tristes. Les héros s’emportent ou se plaignent. L’a- mour, la haine, l’ambition, voilà pres- que les seuls ressorts de la tragédie. Il n'en est pas de même dans la comé- die. Toutes les passions lui appartiennent, celles qui tiennent au sentiment, comme : celles qui ne présentent qu’un côté ridi- cule, et souvent elles se succédent. Si l'acteur ne saisit pas les nuances diver- ses du personnage qu'il représente, aussi : rapidement que la plume les a tracées, l'impression qu'il fera sur le specta- teur sera nulle. Dans cette situation Le doit-être sur la scene, ce que l'argile est, entre les mains du sculpteur qui com- mence par modèler une Sapho, et qui, changeant d'idée au milieu de ‘son tra- vail, repaitrit cette terre molle et en fait un héros armé de pied en cap. Une telle diversité de caractères exige de la part de l'acteur un esprit Juste et prompt, je (64) veux dire cette aptitude à s'approprier toutes sortes d'impressions, avec la faci- lité de les faire éprouver aux autressice je ne sais quel sens qui Juge, au premier abord, sans le secours de l'analyse et du raisonnement, Assurément rien nest plus difficile que le passage subit d'un ton à un autre, dé Ja rapidité à la lenteur , de Îa joie à Ja tristesse, de la fureur à la modération :, mais ce sont ces gradations, bien expri- mées, qui dénotent le véritable talent. Une maxime, une finesse, une plaisan- terie , resteraitent souvent sans ‘effet si ‘Jon n'avait pas l'art de nuancer les mots comme les pensées. Par exemple Si lors- que Lisimon dans Île Glorieux dit: 5 . Ê L . L2 . G . Quoi! donc..i...... jaurais sçu faire un miracle | | (incroyable En senGaDt aujourd'hui ma femme raisonnable, Si, dis-je, l'acteur:ne s'arrête pas court en baïissant la voix au moins d'une octave pour ajouter, comme par reflexion te y" Chose qu’on wa point vue... et qu'on ne verra plus, Cette plaisanterie ne fera point de sen- sation. w 2 “Les. nuances sont dans Île our ce que le clair et l’obscur , menagés suivant les règ les de l’art, de la nature et du goût sont dans la peinture. Avec les qualités indiquéés ci-dessus il en faut encore une qui est un véritable présent du ciel et sans lequel on n'est jamais un grand acteur. On peut avoir lé sentiment de son rôle, et ne pas pou- voir l’exprimer: il faut une âme pour lui donner la vie. L'action ne saurait être vraie dans tous ses poiuts si l’on ve pos- sède pas ce charme avec lequel on atta- che, comme malgré lui, le spectateur le plus inattentif. Que le débit comporte un ton tranquille ou véhément, il y a ton- jours une âme attachée à la maniere dont il est fait. Dans le premier cas ilest fa: _&le de se posséder et de prendre le ton . convenable ; l’autre exige plus d'attention 5 * ARNO AUUES syr soi-même. Souvent un acteur, et sur- tout l'acteur tragique, croit exprimer avec feu ce qu'il n’exprime qu'avec une véhé- mence factice. Il faut, en tout, laisser par- ler la nature et consulter ses moyens phy- siques. At-on à remplir un rôle dont l'impétuosité doit se faire sentir d'un bout à l’autre , et craint-on de ne pouvoir sou- tenir le degré de force qu'il exige ? il ne faut point abuser de sa voix: il faut, au contraire, la ménager de facon qu'on soit, pour ainsi dire, en état de recommencer son rôle lorsqu'il est fini. Il vaut mieux que le spectateur vous trouve d'abordun peu froid, et que, vous animant peu-à- peu, vous produisiez sur lui, par grada- tion , un effet tel qu'il soit convaincu que votre débit, lorsque vous l'avez commencé, exigeait la sagesse avec laquelle vous l'avez fait, quoique l'instant de la scène püt faire présumer que vous auriez dû y mettre plus de feu. | Une attention bien grave et dont sou- vent on s'écarte, et, surtout, quand on 4: 2 6 à n'est pas familiarisé depuis long-tems avec le théâtre, c'est la rigide Phservätion deg ’ con venances. . Vous dre étre l'homme dont VOUS ré- présentez le personnage. Quoique vous soyez Jeune, si vous étés destiné à rein- plir les rôles de pères ,il faut, à la scène, oublier votre âge et que votre costume ne laisse point deviner que vous cachez vos années sous un inasque différent du votre. | Par un mensonge heureux, Voulez-vous nous ravir? ere Au sévère costume il faut vous assérvir : Sans lui, d'illusion la scène dépourvue Nous laisse des regrets et blesse notre vue. Dorar. Dans cet emploi il est ehcore plus d'une nuänce à observer. Le Licandre du Glo- rieur n'est point un Z'urcaret, et Turcaret n'est point l'Harpagon de lZvare. Tél rôle de père exige un maintien noble et grave, et une aimable simplicité, tout en conservant les manières d'un homme de qualité : (Licandre par exemple que je viens … (6811 de citer): tel autre une bonliomie natu- relle, une franchise que rien ne peut altérer : (Lisimon dans le Méchant) : ettel autre enfin une crédulité et une avarice peintes dans tous les traits: (Géronte dans les fourberies de Scapin). Au reste, il nest pas d'emploi dont les caractères des rôles ne présentent des dif- férenceés marquées. | Le jaloux de lÆcole des femmes, n'est pas le jaloux de l'Ecole des maris ; le chevalier à la mode n'est pas l’homme à bonnes fortunes ; un petit maître bour- geois ne ressemble pas à un petit maitre de cour, : Les rôles de valets présentent. éncore plus de nuances différentes que les rôles de pères. Le valet du glorieux n'est pas celui de la coquette, ou de l'étourdi, ou du légataire etc. -L'emploi des jeunes premiers, dans Île tragique comme dans le comique, est celui de tous qui présente le moins de ces disparates. #0 ( 69 ) © En parlant de la rigide observation des convenances, j'ai entendu, comme on l’a vu, généraliser ce mot et le faire porter sur les costumes, comme sur le caractère des rôles. Graces à la révolution opérée sür la Scène française par Mlle. Clairon ét Lékain, on ne voit plus de contre sens outré dans la manière de se vêtir. Mais quelque fois un jeune homme s'écarte un peu de la vérité; :l craint de lui trop accorder, et voilà sur quoi porte mon observation: On ne saurait étre trop rigouréux sur ce point pour rendre l’illu- sion complète. » C'est ici le cas de rappeler au lecteur les ridicules de la scène française à une époque qui n'est pas encore très éloignée de nous, puisque c'est celle où MM. Lekain, Bellecour, Miles. Clairon, Dumesnil etc. déployaient leurs beaux talens Sur ce théâtre. Les jeunes gens qui n'ont pas vu ce regne extravagant, en ne jugeant que par comparaison avéc ce qui existe au- jourd'huï, auront peine à y croire. SJ ( 70) | «Quand les paniers furent inventés , et que cette mode fut devenue essentielle pour la parure des dames françaises, les comédiennes, avec raison, firent usage de cét ajustement dans les pièces où elles peignaient les mœurs de la nation. Ainsi, Dorimène, Cidalise, Araminte, et Belise étaient dans l'obligation d'en porter; mais bientôt Cornelie, Andromaquer, Cléopatre, Phédre et Mérope se montrerent sur Ja scène vêtues de cette manière. C'est ce quon ne se persuadera jamais , qu'en admirant la foule des contradictions que la cervelle humaine se plait à rassembler, Les rôles de paysannes, jusqu'à celui de Martine des Femmes savantes, furent joués avec de grands paniers, et l'on aurait cru pécher contre Îles bienséances en paraissant autrement. /Ce nest pas tout: cet usage s'introduisit Jusque, dans ja parure des héros et même des'danseurs, Au retour d'une victoire un Capitaine greç ou romain paraissait sur notre theâtre avec un panier tourné de la meilleure (71) grace dumonde, et auquel les efforts des peuples qu'il venait de combattre n'avaient pas fait prendre le moindre petit pli. ». «Rien n'était si comique que l'habit tra- gique. Au lieu de ces beaux casques qui décoraient si bien les anciens guerriers, nos comédiens, en voulant les représenter, portaient tout simplement des chapeaux à trois cornes, pareils à ceux dont nous nous servons dans le monde. Il est vrai que pour se donner un air plus extra- ordinaire , ils y ajoutaient des plumes dont l'énorme hauteur les mettait souvent dans le cas d’éteindre les lustres, qui alors, éclai- raient la scène, ou de crever les yeux à leurs princesses ,: en leur faisant la révé- rence. - Ils portaient aussi des perruques frisées, des gants blancs et des culottes boucléés et jarrelées à la française. Les décorations étaient tachées des mêmes dé: fauts: elles se bornaient à un misérable palais, à une triste campagne et à un appartement noir et enfumé. Les lustres 72 ) qui, comme je viens de le-dire, étaient accrochés à-nos théâtres, donnaient fort souvent un démenti aux paroles de l acteur commeaux décorations. En effet, comment se persuader qu'on était dans un jardin, en pleine campagne, ou dans le camp d'Aganiemnon, lorsque des chandelles sus- pendues au plafond’ venaient frapper-les yeux et l'odorat des spectateurs? de quel front un acteur pouvaitil dire au milieu de ces nombreuses chandelles? , . : 4 Enfin ce jour PRRPERE , cet heureux:;our nous Pt » «Mais ce qui anéantissait encore ‘plus lillusion , c'étaient les bancs qui garnis- saient la scène, et la foule des spectateurs qui remplissaient le théâtre. Onme savait quelque fois si le jeune seigneur qui allait prendre sa ‘place n'était point Famoureux de a pièce qui venait: jouer son rôle. C'est ce qui donna lieu à ce vers: . On attendait Pirrhus, on vit paraître un fat. » «Le comédien manquait toujours son entrée : 1] paraissait trop tôt ou trop tard: sortant du milieu des spectateurs comme (78) | “unerevenant, il disparaissait de même sans. qu'on s’apperçut “de sa sortie Enfin tous les grands mouvemens de la tragédie nel pouvaient s'exécuter , et les. coups de théâtre étaient toujours manqués, etc. etc.» (Extrait d'une lettre de Mr. de er sur les spectacles.) Tels-étaient les: abus dont te la scène française lorsque tout changea de -facé par les soins'courageux de Mlle. Clairon secondée. de ceux de plusieurs acteurs, et soutenus par la générosité de M. le comte de Lauraguais, qui sacrifia plus de cin- quante mille francs pour les seuls chan. gemens qu'il fallut faire au théâtre par | rapport +à la suppression: des balcons. Des hommes de lettres contribuërent aussi, parleurs conseils, aux divers changemens qui s'opérèrent sur la scène française. Péude-tems avint cette glorieuse imnova- tom Mr. Marmontel avait dit: «s'est introduit à cet égard (la vérité des costumes) un usage aussi difficile à concevoir qu'a détruire. Tantôt c'est (74) | Gustave qui sort des cavernes de Décarlie avec un habit bleu céleste à paremens d'hermine ; tantôt c'est Pharosmane qui, vêtu d'un habit de brocard d'or; dit à l'ambassadeur de Rome : La nature marûtre , en ces affreux climats À Ne produit, au lieu d’or, que du fer, des soldats. « De quoi faut-il donc que Gustave et Pharosmane soient vêtus? L'un depeau, l’autre de fer. Comment les habillerait un grand peintre? Il faut donner, dit-on, quelque chose aux mœurs du tems :. il fallait donc aussi que le Brun frisàt Porus, et mit des gants à Alexandre. C'est aux spectateurs à se déplacer, non aw spec- tacle, et ‘c'est la réflexion que tous les acteurs devraient faire à chaque rôle qu'ils vont Jouer. . On ne verrait pas paraître | César en perruque frisée, ni Ulisse sorur, tout poudré, du milieu. des flots, Ce dernier exemple nous conduit à une re- marque qui peut être utile, Le poëte ne doit jamais représenter des situations que l'acteur ne saurait reudre. Telle est celle LA Te CE (75) | d'un héros mouillé, qui devient ridicule dès que l'œil s'y repose.» (Æxtrait de l’Enciclopédie, art. Décoration théâtrale.) : Après avoir parlé des qualités exigées pour paraître sur la scène avec tous les avantages, disons quelque chose sur la imanière de répéter son rôle. L'opinion est fixée depuis long-tems sur le mode de réciter la tragédie. * La pre- mière loi pour l'acteur est d'oublier le rythme dans lequel ces sortes d'ouvrages sont composés. Rien n’est plus insipide pour. l'oreille que la fréquence éternelle des rimés; mais il est un art de lier les vers qui n'ôte rien à leur beauté, et c'est cêt art qu'il faut scrupuleusenrent étudier avant de s'exposer à en réciter, La poésie recouvre toute sa liberté à la lecture et aux oreilles de l'auditeur; elle ne con- serve ‘alors que les chaines auxquelles Ja prose est assujettie, et, comme dans la prose, les repos ne sont déterminés dans les vers que par le sens, et non par le nombre des syllabes, L f (76) Prenons pour exemple ceux que Racine met dans la bouche de Joade, et transeri- vons lès comme si C'était dela prose. Celui qui met un frein à la fureur des flots, sait aussi des méchans arrêter les complots. Soumis avec respect àsa vo- lonté sainte, je crains Dieu, cher Abner, et n'ai point d'autre crainte : cependant je rends grace au zèle officieux, qui sur tous mes périls vous fait ouvrir les yeux: Je vois que l'injustice en secret vousirrite, que vous avez encore le cœur israëlite : Le ciel en soit béni. Mais ce secret cour- roux, cette oisive vertu, vous en contentez- vous? La foi qui n'agit point, est-ce une foi sincère? Huit ans déjà passés, une impie étrangère, du sceptre de David usurpe tous les droits, se baigne impu- nément dans le sang de nos rois: des enfans de son fils détestable homicide, et mème contre Dieu lève son bras perfide ; et vous l’un des soutiens de ce tremblant ‘état, vous, nourri dans le camp du saint roi Josaphat, qui, sous son fils Joram, 65 ) commandiez nos armées , qui rassurates seul nos villes alarmées , lorsque d'Okisias le trépas imprévu dispersa tout son camp à l'aspect de Jéhu: je crains Dieu, dites- vous ,; sa vérité me touche. Voici comme ce Dieu vous parle par ma bouche. . . . Quel morceau de prose coule avec plus de facilité! La contrainte de la rime dis: parait sans que rien semble tronqué. La seconde loi pour l'acteur est de sui- vre en tout la nature et ne jamais dé- passer les bornes qu'elle prescrit: mais ce n’est pas en, dépasser les bornes que de la montrer, lorsque le cas l'exige, dans toute sa magnificence. Le récit doit tou- jours être en raison du moment et du personnage qu on représente. Majestueux et imposant quand , la tête couverte du diademe ou revétu du suprême pouvoir, on dicte des loix; naturel quand il n’est question que d'exprimer des sentimens: renfermé dans les bornes indiqués par le caractère et la constitution de son rôle, e NA ENQLSS (28.7 mais toujours noble: tel doit-être l'acteur | tragique. Âction , discours , geste attis tude, et jusqu'au silence, tout, entun mot, doit-être relatif à son personnage: Chaque passion a son mouvement: C'est ce mouvement qu'il faut savoir saisir. Ainsi Burrhus abordant Agrippine, se pénètrera du respect qu'il doit à cette princesse en Jui disant : César pour quelque tems s’est soustrait à nos yeux: Déja par une porte, au public moins connue, L'un et l’autre consul vous avaient prévenue, Madame: mais souifrez que je retourne exprès... En prononçant les vers suivans sans s'é- carter de ce respect, il se souviendra du caractere dont-il est revétu. Je ne m'étais chargé dans ceite occasion Que d'excuser César d'une seule action: Mais puisque , Sans vouloir que je le justifie, Vous me rendez garant du resté de sa vie, Je répondrai, madame, avec la liberté D'un soldat qui sait mal farder la vérité Malgré cette assurance, l'acteur qui re- présente ce rôle serait dans l'erreur s’il (79) croÿait. que ces déux vers l'affranchissent des égards qu’ il doit à la mére de son empereur:. On aime à retrouver dans le gouverneur hi Néron, la noble candeur d'un militaire, qui ne connaît point l'art de flatter. Mais on serait blessé de ne pas trouver en lui la prudence d'un homme de cour qui sait adoucir l'aspérité de ce- qu'il va dire. & De quoi vous plaignez-vous, madame ? On vous révère. Ainsi que par: César, on jure par sa mére. L'empereur, ilest vrai, ne vient plus, chaque jour, Mettre à vos pieds l'empire, et grossir votre cour ; Mais le doit-il, madame? . , . . . . .. A A En annonçant à cette princesse qu’elle a cessé de régner , il doit l'exprimer de manière à lui prouver qu’elle n’a rien perdu du côté du respect qu'on doit à sa personne. Le comédien Baubourg , jouant Néron, disait à Burrhus, avec des cris aigus et tout l’emportement de la férocité, en parlant d'Agrippine: Répondez m'en, vous dis-je, ou , sur votre refus, D'autres me répondront et d'elle et de Burrhus. Sa ! (80) : Cetté expression.étrange renfermait tant de vérité que tout le monde enétait frappé de terreur. Ce n'était. plus Paubourg,. c'était Néron même. Cependant ces deux vers semblent demander uniquement la dignité d'un empereur, et la tranquillité cruelle d’un fils dénaturé,. En parlant de Britannicus on se rap- pele, malgré soi, le nom de Baron , ce Roscius'de la scène françaisé, qui émbras- sait tous Îles rôles et les rendait égale: meut bien tous. Né en 1652, Baron était à peine sorti de . l'enfance lorsqu'il monta sur le théatre. Favorisé de tous les dons de la nature, il les avait perfectionnés par l’art: figure noble, gestes naturels, inteligence supé- rieure, il possédait tout. Attaché d'abord à la troupe de la Raisin, 1l l'a quitta pour entrér , encore adolescent, dans celle de Molière. En 1691, 1l se retira. du théâtre: 29 aus après il ÿ'remonta, et fut aussi applaudi dans le rôle de Britanmicus, qu'il - (Bi) : choisit” pour sa rentrée ; qu'il l'avait été daus sa jeunesse en remplissant ce mêmé rôle. Il joua successivemeut Véron et Pur- rhus; le Menteur, rôle d'un homnie dé vingtanss le père dans l'#ndrienne, pièce dontilétait Fauteur ; Rodrigue dans le Cid, et Mithridäte dans la tragédie de cé not, qui plaisait tant à Charles XIT que dans son loisir ilen avait appris par cœur les plus belles scènes et les répétait à ua de:ses mimisires. : bi Lorsque dans la conversation de Mi: thridate avec ses deux ls, ce prince rés cite ces quatre vers. Princes, quelques raisons que vois mé puissiez dire Votre devoir ict n’a point dû vous conduire, Ni vous faire quitter en de si grands besoins, Vous, le. Pont ; vous, Colchos , confiés à vos soins, Baron marquait avec beaucoup d'intel: ligence.et une finesse de sentiment supé: rieur, lamour de ce prince pour Xipha- rés, et sa haine contre Pharnace. El dis sait au dernier: vous, le Pont, avec Ja hauteur d'un maître ; et la froide sévé- 6 € (82) rité d'un juge, et à Xipharés: Vous, Col- chos, avec l'expression d'un père tendre qui fait des reproches. à un fils, ‘dont la vértu n'a pas rempli son attente. | Dans la première représentation de cette pièce, il entra sur la scène accompagné de Xipharés, et ne prit la parole qu’a- près uu jeu muet où il semblait avoir - réfléchi sur ce qu'avaient pü lui dire ses deux fils. En rentrant dans la coulisse il s'’adressa à Beauval, acteur des plus mé- diocres, et lui demanda, en plaisantant, s'il était content. | « Votre entrée est dans le faux, Jui dit Beauval, il n'y a point à réfléchir sur les excuses des deux jeunes princes ; ïl faut leur répondre en paraissant avec eux, par- ce qu'un grand homme comrue Mithridate doit concevoir duü premier coup d'œil les plus grandes affaires.» Baron sentit la force de: ce raïsonne- ment et s'y conforma. Cet acteur sublime n'entrait jamais sur Ja scène, qu'après s'être mis dans Pesprit (83) et le mouvement de son rôle. Il y avait tellé pièce où, au fond du théâtre, et der _ rière les coulisses, ,ilse battait, pour aiesi dire; les flancs, pour se passionner: Il apostrophait avec aigreur, et injuriait tous ceux qui se trouvaient autour de lui, les acteurs, les actrices, les valets ; et 1l ap: pelait cela respecter le parterre. ‘Il ne se montrait effectivement à lui, qu'avec une certaine altération dans les traits, et avec ces expressions muéttes qui étaient comme l’ébauche de ses différens personvages. Il mourut en 1729 âgé de 77 ans, Les ‘quatre vers suivans du grand Rous- seau qu "on lit au bas de son portrait, sont l'éloge le ‘plus flatteur qu "on ait pù faire de ce comédien. Du vrai, du pathétique , il a fixé le ton, De son art- enchanteur l'illusion divine Prétait un nouveau lustre aux beautés de Racine, Un voile aux défauts de Pradon. Je reviens aux observations que je fai- sais sur Ma: À manière dont certains rôles doivent être récités, Ce n'est pas à l’hom- ( 84 ) me qui les conçoit bien qu'elles s’adres- sent: Car, en supposant à celui qui se destine au théâtre les qualités que je dé- sirerais qu'il possédât, alors il n’a point besoin de leçons, il n’a besoin que de se familiariser avec la scène ; et cette fami- liarité ne s'acquiert que par l'habitude, qui ne s'enseigne pas. Mais comme on ne doit pas exclure du temple consacré à Melpomène et à Thalie, celui qui n’au- rait pas toutes cès qualités désirées ; com- me, dans le nombre, il en est plus d'une qui s'acquiert par l'étude, et qu’on doit souvent à un travail assidu le dévelop- pement de son génie, c'est à celui chez qui ce développement ne s'est pas encore fait que je m adresse. Il n’y a qu'une seule manière de cou- cevoir une pensée écrite: 1l /n’y en, a qu’une seule de la répéter, et il n'est pas nécessaire de l'avoir créée pour en saisir l'esprit avec autant de justesse que l'au- teur lui même; mais d’une pensée isolée à l'œuvre entière, la différence est si grande, dr, _ ; DO 0 que souvent une première erreur vous en fait commettre mille : avec beaucoup d’es- prit, avecune intelligence parfaite on peut, quelquefois , mal saisir l'esprit d'un rôle, Souvent une pénsée présente deux sens bien différens, et tous deux semblent être dans la nature d'un rôle; c'est ici que l'acteur a besoin de toute sa sagacité, car l’auteur lui-même aurait quelquefois peine à décider précisement dans quel sens il l’a conçue et par conséquent comment elle doit être rendue. Mais bien pénétré du caractère du personnage qu'il repré- sente, l'acteur se décide, et ne laisse plus d'incertitude sur la manière de rendre cette pensée. _ Le rôle du jeune Horace dans la tragédie de ce nom présente cette difficulté. En rendant avec la précision rigoureuse atta- chée aux termes de ce vers: Albé vous a nommé; je ne vous connais plus. 11 s'en suivrait qu'Horace doit allier deux sentimens qui se contredisent: la sensi- bilité et la dureté. Ce’ Roinain aime ten- 086) drement Curiace, le frère de sa ferme, et qui est au moment d'épouser sa sœur: mais dès qu'il apprend qu’Albe a nommé cet ami pour combattre pour elle, tandis que Rome le choisit lui-même pour dé- fendre ses intérèts, il se dépouille à l'in- stant de tout sentiment d'humanité, si, comme je viens de le dire, il donne à ce vers l'accent féroce qu'il présente. La nature ne saurait passer aussi rapidement d'un sentimert tendre à celui d’une in- différence que le tems seul peut amener. Ce vers doit donc être prononcé avec un reste d’attendrissement. Il ne m’appartient pas de juger l'œuvre du génie; mais quand le grand Corneille lui-même avouait, en toute humilité, qu'il n'eptendait rien aux quatre vers suivans de ‘Tite et Bérénice: Faut-il mourir, Madame, et si proche du terme Votre iltustre inconstance est-elle encore si ferme, Que les restes d’un feu , que J'avais crû si foit, Pussent dans quatre jours se promettre ma mort Ÿ F7" (87) il m'est bien permis de dire que dans certaines tragédies, pour lesquelles l’en- thousiasme s'est le plus prononcé, il s'y trouve souvent des passages dont la ré- flexion la plus approfondie ne saurait saisir le sens. Que faire alors? Comme Baron: les. réciter sans les entendre. Cet acteur ayant prié Corneille de lui expliquer les quatre vers que je viens de citer, en lui avouant quil ne les entendait pas, en reçut cette réponse: «Je ne les entends pasitrop bien non plus; mais récitez les toujours; tel qui ne les entendra pas, les admirera. » On pourrait multiplier ces exemples : mais le principe s'appliquant à tous, cest à l'acteur à louvoyer adroitement quand il rencontre ces écueils contre lesquels le raisonnement vient se briser. Un des rôles le plus difficile à saisir dans une pièce de ce même Corneille, le créateur de la tragédie, c'est celui de Nicomède, | Baron qui par la beauté de ses tons, @: (88 ) -et les inflexions de la voix captait le spec- tateur au point de ne pas lui laïsser le k | tems de refléchir sur le sens des! vers qu'il debitait, et qui avait sur les acteurs qui l'ont suivi, l'avantage inappréciable de connaître le héros qui avait servi de modèle au poëte pour le rôle de Nico- mède, mettait, dañs son débit, de la hau: teur et une franchise qui était la. base du caractère du grand Condé, l'ennemi juré de ces petits subterfuges à l'abni desquels on ménage, dans les cours, Pesprit de tous. Idolâtre de son ‘roi, mais raïl- teur impitoyable quand il était question du cardinal ministre, se permettant même de ridiculiser les actions de la reine mere, tel était ce Condé à qui le nom de Grand fut donné d'une voix unanime par les français, comme par les peuples étrangers, et que n’osérent lui refuser. même ceux qui étaient jaloux de sa gloire. Ce hbe- raieur de son pays futile modele de l'acteur, comme 11 l'avait été du poête. Beaubourg succéda à Baron, mais sa déclamation ( 89 ) | boursoufflée et son jeu inégal ne permet- tent pas de le citer comme un modele dans aucun des rôles qu'il a remplis. Dufresne vint aprés, et grâces aux leçons de Ponteul, sil n’a pas mérité d'être exactement placé sur là même ligue que Baron, au moins a-t-il été digne de lui succéder. La nature qui produit lente- ment l'œuvre du génie, créa enfin Lekain. Cet acteur sublime devina la manière dont Baron avait joué Nicomède. Dans ce rôle il usa de l'ironie avec modération, parceque Nicomede, doué d’une ame forte, doit con- server assez de pouvoir pour commander à ses passions, mais n affecte pas cepen- dant ce calme imperturbable, incompatible avec son caractère. Lekain semblait dans Nicomede être inspiré par RU de Corneille. Il ne prononçait pas un seul mot sans en mar- quer la valeur. Une noble colère l'animait dans cétie partie du dialogue : ( 90 ) és Nicouèps, Vous m'envoyez à Rome ! DEA | PRusrAs. a, On ty fera justice. Vas, vas lui demander ta chère Laôdice. Nicomipe. ” J'irai, seigneur, j'irai, vous le voulez ainsi; Mais J'y serai plus roi que vous n'étes ici. L'acteur intelligent qui, d’après les mémoires concernant le grand Condé, se pénétrerait véritablement du caractère. de ce héros serait certain d'avoir de plus grand succès dans le rôle de Nicomede. Quelques acteurs dans ce vers de Pyrrhus à Andromaque ‘ Madame, en l'embrassant songez à le sauver. employent la menace, quand au contraire le pathétique, l'intérêt, la pitié en mar- quent l'esprit. (C'est une véritable faute de sens qu’on: ne ferait pas, si l'on s'était pénétré du véritable caractère de Pyrrhus. Un ton simple et naïf, et ceci semblera peut-être contradictoire, peut dans cer- taines circonstances s'allier au tragique le (98) plus élevé. Mais pour s'y livrer, sans tomber dans le genre trivial, il faut avoir la juste conscience de son talent. Dufresne qu'on ne saurait trop citer, parcequ'il fut l'émule de Baron et quil perfectionna la route qui lui avait été tracée par ce génie créateur, Dufresne représentant Pyrrhus, et rapportant les paroles qu Andromaque avait adressées à sou fils Astianax, imitait la voix douce d’une femme en prononçant # ces mois: C'est Hector (disait-elle en l’embrassant toujours) Voila ses yeux, sa bouche et déjà son audace! C'est lui-même, c’est toi, cher époux, que j'embrasse, Et bieniôt repreuaut la voix mâle de son rôle il continuait avec fierté : Et quelle est sa pensée? attend-ellé en ce jour Que je lui laisse un fils pour nourrir son amour, Non , non, je l’ai juré, ma vengeance est certaine etc. Remarquons en.passant, que l'Andro- maque de Racine est la première tragédie qu'on a parodiée. Subligni, auteur de cette parodie, lui avait donné le nom de la folle querelle. Racine l'avait attribuée (0%) à Molière, et d'après cette idée s'était brouillé sérieusement avec lui. Je crois avoir déjà dit, mais je ne saurais trop le répéter, qu’il ne faut mettre ni emphase ni cadence dans la manière de réciter les vers. Le spectateur veut en sentir l'illusion enchanteresse, mais il ne veut pas qu'on détruise, ou, au moins, - qu'on affaiblisse l'intérêt du sujet par un charme qui lui est étranger, pour mieux dérobér à l'oreille l'uniforme répétition de la rime: il faut même, en certains cas, ne porter l'inflexion que sur le dernier mot de la phrase, et couler sur la pénul- tième rime, afin qu'elle soit comme ab- _sorbée dans le vers subséquent. Exemple pour la tragédie tirédeMérope, | POLIFONTE. Madame, il faut enfin que mon cœur se déploie. . . . Ce bras qui vous servit m'ouvre au trône uné voie... . Et les chefs de l’état tout prêts de prononcer Me font entre nous deux l'honneur de balancer. ... # Ts (93) Nos ennemis communs, l'amour de la patrie ; Le devoir, l'intérêt, la raison ; tout nous lie, Tout vous dit qu’un guerrier, vengeur de votre époux, S'il aspire à règner, peut aspirer à vous. .... ‘Je me connais: Je sais que blanchi sous les armes Ce front triste et sévère à pour vous peu de charmes: Je sais que vos appas.-encore dans leur printems Pouiraient s’effaroucher de l'hiver de mes ans: Mais la raison d'état connait peu ces caprices:.... Et de ce front guerrier les nobles cicatrices , Ne peuvent se couvrir que du bandeau des rois... Je veux le sceptre, et vous, pour prix de mes ph r - N’en ‘croyez pas, Madame, un orgueil téméraire :. Vous êtes de nos rois et la fille et la oi ? Mais l’état veut un maitre;.... et vous devez songer Que, pour garder vos droits, il les faut partager. + | MÉRoPE. Le ciel, qui m'accabla du poids de sa disgrace Ne m'a point préparée à ce comble d’audate. .. Sujet de mon époux, vous m'osez proposer De trahir sa mémoire et de vous épouser !..., Moi, j'irais de mon fils, du seul bien qui me reste Déchirer avec vous l'héritage funeste !.... CTP PS Cle tteue Ce Dem ist à 2190 07 07 0 l'efpletrel el eo se 6 CUT Ed TIRE OLA. 07 el Te" (9-00 Bin rit eee eur d'en Me ee 616 ‘Se MAT TN ET NAS Mules le Le où 0 19 Lot eh lent d'Netiell eo file) d'os te. 10: $ Je ne prétends pas qu'il faille abuser de cette liberte de lier les vers, surtout AN (94) dans la tragédie, dont la marche et Îe débit doivent être pius lents que dans la comédie : mais il faut en faire usage toutes les fois que le sens le permet, et que la phrase n'en souffre point. Plutôt que de torturer la raison, il vaut mieux faire éprouver al oreille un léger RES Quelque scrupuleuse attention qu'on ap | porte à la liaison des vers, dans un récit, il en reste toujours trop que la nécessité oblige à séparer par la constitution même des phrases et la nature de la versification. Il est des choses que le goût indique, ét sur lesquelles il est impossible d'établir des règles. Lorsque deux ou plusieurs sentimens agiteut l'ame, ils doivent se peindre, en même tems, dans les traits et dans la voix, à travers les efforts qu'on fait pour dissimuler, dit M. de Marmontels 11 n'est pes de lecon qui puisse enseigner ces nuances d'expression de sentiment qui se combattent. On est certain de les saisir, quand on est pénétré de l'esprit de son rôle, (95) , Dans ce vers de Néron .… Avec Britannicus je me réconcilie. Néron est bien éloigné,de penser ce qu'il dit: sa physionomie exprime la vérité, , et le mensonge est dans son cœur: il faut qu'il persuade à Antiochus et à Agrippine que ces paroles sont l'expression d'un Sentiment qu'il éprouve, et que le spec- tateur, comme Cléopâtre, soit convaincu du contraire. Le sublime de l'art est d’être deviné parun jeu muet et des uns et des autres; enfin, sil est permis de se servir d'une pareille expression , c'est de faire parler: son silence. Cette manière de s'ex- primer est la science de tout acteur qui se trouve en scène. Rien de ce qui s'y passe me doit lui être étranger. On ne saurait écouter un discours dont on est ému } sans. le faire paraître: la situation dans laquelle en se trouve ne permet pas de l'interrompre: le jeu, des muscles de la physionomie doit alors remplacer la parole. Mile. Ciatron dans Pénélope (tragédie (96 ) de l'abbéGenest, donnée pour la première fois en 1684) a eu l'art de faire d'un défaut de vraisemblance insoutenable à la lecture, dit encore M. de Marmontel, un tableau théâtral de la plus grande beauté. Ulisse parle à Pénélope sous le nom d’un étranger. Le poëte pour filer la recon- naissance a obligé l'actrice à ne pas lever les yeux sur son interlocuteur , mais à mesure qu'elle entend cette voix, les gra- dations de la surprise, de l'éspérance et de la joie se peignent sur son visage avec tant de vivacité et de naturel, le saisisse- ment, qui la rend immobile, tient le specta- teur lui-même dans une telle suspension, que Ja contrainte de l'art devient l'ex: pression de la nature. Il n'est pas de rôle quelqu'indifférent qu'il paraisse qui ne puisse donnerides preuves d'intelligence dans l'acteur ou l'actrice qui les réprésente. Tels sont ceux de confidens et de confidentes. Ils denrran: dent dans le debit un ton de simplioité noble, Vouloir dans ces rôles y metire RS CR 2 D à à cb } \* CUT - € 87) ont sorie dé prétention, ét plus: de cha: leur ou d intér et qu als’ n exigent, c'est les jouer à contre-sens. Nous n'éprouvons pas, danusun événement qui n'aavéc nous qu'un rapport indirect, la même 'tfinpression, ni le même degré de douleur ou de joie que uous éprouverions s'il nous était per- sounel. Le serviteur le plus Zélé se sacri- fie pour prouver à $on maîtré l'attache- ment qu'il la tpour: ui: mais si l'ambition, si l'amour, si la vengeance etc. ete. sont les passions qui atiimient son maitre , Ces sentimens n'étant poini propres à ce ser- viteur, ils né'peuvent êire, en résultat pour lui, que dés moyens de servir les intérêts de celui auquel il est attaché : ils ne sauraient influer sur son’propre ca- raciéré : 1l ne doit pas s'expriinérCOoinime celui: dont l'ambition , l'amour ou la ven- geance animent le cœur. De inême si, dévoré par un chagrin profond, son mai- tre s’abandonne à l'excès de sa doyleur, en faisant. le tableau du chagrinqu'éprouve | ce personnage auquel il est attaché, doit- "7 { ANNEE A NS (98 ) il feindre la même douleur? non sans doute. C’est donc à tort que la plupart des confidens et confidentes viennent lar- moyer sur la scéne ; ou se livrer à d'au tres mouvemens passionnés, comme s'ils | étaient les héros ou les héroïnes de la pièce. Quiconque a vu Lekain remplir le rôle de Pirithoüs dans Ariane, sait quel: ton de vérité il faut mettre dans de pa- reils rôles pour les rendre importans, quel- que peu quils paraissent l'être par eux mêmes. Vérité, noble simplicité, voilà l’art qu'employait Lekain dans ce+rôle qui semble n'être pas digne de l'attention de ceux qui en sout ordinairement char- gés, et dans lequel if était applaudi avec Je même enthousiasme qu'il l'était dans les rôles d'Orosmane, de Mahomet etc.atc. Dans tout, il faut le conserver ce ton noble et simple; point d'affectation dans votre manière de réciter .un ou plusieurs vers parce qu'ils présentent une, pensée sublime. Pour la saisir Le spectateur n’a 7 “s | ; à | Ÿ a fe é é Co) pas besoigi: de cette espèce d'avertissement qui ne tient point à l'esprit de votre rôle. Par exemple, lorsque le comte d'Essex, rend son ‘épée au garde qui vient le dé- sarmer et quil lui dit: Vous avez dans vos mains ce que toute la terre À vu plus d'une fois ütile à l'Angleterre. Ces deux vers seraient inconvenans , dans la bouche d'un véritable guerrier ;, s'ils étaient répétés avec emphase. Le comte d'Essex, sensible au traitement qu'il éprouve, prétend moins vanter 5a valeur que APpSIer des services rendus à la patrie et qu'on semble avoir oubliés. Un ton de fermeté, et non une decla- mation fastueusé convient nonseulement au débit de ces deux vers, mais au rôle en général. Le comte d Essex est un he- ros intéressant et non un fanfaron de bra- voure. : Si-Britannicus surpris par Néron aux pieds de. Junie n'adoucissait pas le ton “Re ARE LORS AN DOTE JU EUR Na PAT « CAL : “: ( 100 ) de sa voix, la dureté et la hauteur de ses répouses, quand il lui dit: RS “AS Rome met-elle au nombre de vos droits Tout ce qu'a de cruel, l'injustice et la force, Les emprisonnemiens, le rapt et le divorce? Il manquerait d'abord aux convenances reçues: quoique frère de l’empereur , il est son sujet. Revêtue de cette dignité, la personne de Néron est sacrée pour lui comme pour les autres: ensuite il démen- tirait son caractère de douceur, il affai- blirait l'intérêt qu'il inspire et justifie- rait en quelque sorte Îa barbarie exercée envers lui par l'empereur. Une vérité dure ne perd rien pour étre exprimée avec une: sorte de modération, Lorsqu'Agamemnon adresse à Clytem- nestre cet ordre: | Madame, je le veux et je vous le commande. L'acteur qui représente ce personnage doit mettre dans sa manière de pronon- cer ce vers un certain lénitif qui en di- minue l'apreté, Agamemnon n'est point 5 ‘a, | . ’ c | À , % 3 : 2 À + ( 101 ) un, despote farouche qui, dans tout, ne connait de loix que sa volonté quelqu’ ab. surde que ‘elle SDit je à : C'est be Ja nature qu'il. faut cher- cher ses inflexions ; l'art n'est rieh près ‘de ses inspirations : motrice! de toutes nos actions, elle doit nous guider: c'est à elle que-d'acteur doit ses plus beaux mou- vemens. Ç | D te nots la! première ft M.lle Du- mesnil, dans le rôle de Mérope ôsa tra- verser rapidement la scène pour voler au secours d'Égiste en s'écriant : # { Arrêté... .:.. c'est mon fils; tous les spectateurs furent surpris de ce mouvement si contraire aux usages reçus jusqu alors. On ,s'était imaginé que la tra- gédie aurait perdu de sa noblesse, si l’ac- teur , en marchant, n'avait pas mesuré et cadencé ses pas. | . L'inspiration du moment Re quel- quefois uu effet surprenanli: on peut s'y ss (1027) abandonner, maïs ce sont de ces épreu- ves qu'il faut bien se garder de répéter. Dans le beau tableau des proscriptions que Cinna fait à Émilie, un acteur dans le cours de ce récit, avait, peut- -être sans y songer, tenu son casque , ‘surmonté d'un panache rouge, caché aux yeux des spectateurs, en prononçant ces vers: ei le fils baigné dans le sang de son père, Et sa ‘tête à la main, demandant son salaire....., IL élèva piécipitamment ce casque, ét l'agitant vivement il sembla montrer aux spectateurs la tête ‘et la chevelure san- glante dont:il venait de parler, Cette 1ima- ge frappa de terreur tous les esprits: c'était l'effet du moment: attendue, elle ne produirait aucune sensation. La déclamation théâtrale étant l'art d’ex- ‘Piimer sur la scène. par la VOIX , J'atti- iude, le geste et Îa physionomie, les seni+ iimens dun personnage avec la vérité et: fa justesse qu'exigent [a situation dans la- quelle 1] se trouve, il est facile, d'aprés ( 103 ) ses propres sensations, de donner à celui Lu on représente ce ton de vérité. L'abattement de la douleur ne nous permet que bien peu de gestes: nous sommes tout à l'objet qui la cause; la EE ROns profonde n'en veut aucun; les yeux et le visage éxpriment:bien mieux le mépris, ou l’indignation, ou une fureur concentrée , que ne le feraient ‘des ges- tes: la dignité n en a pas: Auguste teud simplement la main à Cinna , lorsqu'il lui dit: or Soyons amis, Cinna , t'est moi qui t'en conjure. | L'iuflexion de la voix est l’âme de ce vers. Tout autre geste que. ferait Auguste en detruirait le charme. On ne saurait trop le répéter, la pro- digalité des gestes nuit à la grâce du dé- bit, et lorsqu'ils ne sont pas puisés dans Ja nature , ils deviennent de véritables contre sens. EE D'un geste toujours simple appuyez 708 discours: L'auguste vérité n'a pas besoin d'atouré. - : | Dorar. Cie) Que. notre figure: parle avantsde pro- noncer un mot , et qu'elle, annonce ce que nous avons à dire, Il faut qu'on lise sur le: front: d'Alvarés, dans ses regards abattus, et jusques dans sa démarche, qu'il vient: annoncer:à Zamora, et à Al- zire, l'arrét: cruel:qui-les+a condamnés. © Brizard , dont le jeu D PT a JP quent et Si Vrai . : Lorsqu il paraissait dans cette scène, “faisait | éprouver aux pecta- teurs, avant, Ha prononcé un seul mot, le dégré de sensibilité dont lui mé mé paraissait pénétré. On devinait ce qu'il allait dire. BACS Ù Lorsqu' Ariane lit le. billet de Thésée, les caractères tracés. par. la main du per- fide’ doivent, pour. ainsi dire, se réfléchir sur , Sa figure, et se peindre dans ses yeux. nn | Des observations plus ÉtRAES sur Fe manière de réciter la tragédie deviennent inutiles : ce,n'est pas en rultipliant les exemples qu’on instruit: il suffit de met- ( 109 ) tre, sur la voie des applications < celui qui veut réfléchir. “à Passons maintenant à la comédie. Moins exigeante que la tragédie, Ja CO- médie ne veut pas être déclamée: mais elle n ’en présente pas moins de difficultés pour être bien, jouée. Les fautes du comédien ne pouvant pas se masquer sous les dé- hors dun debit pompeux ; échappent ra: rement aux yeux ainsi qu'à l'oreille du spectateur. Nous avons toujours des objets de. comparaison pour juger l'acteur, co- mique , nous n'en avobs point pour ju: pe, l'acteur tragique Les grâces -du beau naturel, la finesse de. l'expression, de la sensibilité, la vérité dans l’action, telles sont les qualités que doit posséder l'a l'acteur comique. La plupart de ces qualités s'ac- quiereut dans l'étude du monde: : c'est dans ce tableau qu’il faut étudier Le mœurs , les caracteres, les nuances qui différencient les mêmes passions Elles se déguisent sous mille formes di- a" ( 106 ) verses : il faut savoir saisir celle qui con- vient: il faut surtout la saisir rapidement, quand le personnage qu'on représente, conservant toujours dans le fond son même caractère le déguise cependant suivant l'esprit de son rôle. Dans l’école des fem- mes, Arnolphe d’abord combattu par la cu- riosité de savoir ce qui intéresse son amour, ensuite par la crainte d'apprendre que son amour est trahi, finit par se livrer à tous les tourmens de son extravagante passion, Jorsqu’Agnès lui avoue ingénument qu’elle ne peut l'aimer. Il prie, il menace; tour à tour fier et rampant, il jure dese ven- ger, puis de tout oublier. Ce qu’il dit, il l'éprouve dans le moment: c'est le ta- bleau de son âme qu'il expose aux yeux d'Agnés. Pour s'exprimer comme Arnol- phe, il faudrait éprouver les mêmes sen- sations , et ne les éprouvant pas, il faut tromper le spectateur par une imitation qui trompe la nature elle même : voilà l'art du comédien. Le don de plier son ame à des impres- + ( 107 ) sions contraires est encore plus nécessaire dans la comédie que dans la tragedie, Toutes les passions sont de son domaine, ‘tous les caractères sont de son ressort. “Une joie folle, les transports d'un vif chagrin, un amour extravagant , Ja colère d'un jäloux, le ton digne, la fatuité, le sentiment tendre: tour à tour joueur, dissipateur, généreux, Foinr y menteur, libertin , tel doit être sur la scene Facteur comique. Que de travail! que d'étude! quelle connaissance approfondie, de tout ce qui se passe dans Îa société, lui est nécessaire! car, encore faut-il'que les Duances dé ces divers :caractéres soient copiées d'aprés le rang des personnages. Un Srand seigneur n'est ni méchant, ni menteur , ni libertin, ni même joueur, comme un homme né dans une classe inférieure ; l'orgueil de son rang perce à travers toutes ses actions. En morale il \ . 22 , « foule aux pieds toutes les bienséances : il trompe son pére , Sa maitresse , son mel. leur ami; et ses défauts, comme ses vices, ( 108 ) * sont, cependant, masqués, presque malgré lui, par ce ton qui tient à l'éducation. Souvent forcé de répéter les mêmes idées, et de me servir des mêmes expressions, puisqu'il existe une analogie entre tous les rôles , soit tragiques, soit comiques, c'est moins à la manière dont cès idées sont rendues qu'au sens qu'elles renfer- ment, que le lecteur doit faire attention. En didactique il n'ést guëres possible. de, varier ses tons, sans devenir obseur; il vaut donc mieux se répéter pour, tâcher d’être entendu. px La première de toutes les qualités pour le comédien c’est d'avoir la figure de.son rôle : point de spectacle sans illusion. Un jeune homme sous'.des cheveux blancs ; et vice versa, ressemble plus :à une, cari- cature qu'au personnage qu'on veut repré- senter. Le: spectateur ue reconnait pas l'étourdi sous les traits prononcés de l'âge : il ne reconnait point Geronte. sous ceux de. la jeunesse. L'imitation de la nature peut remédier, dans queiques points, à ce à o (+109 ÿ qui manque pour figurer un personnage, mais, en général, comme il est plus facile _ déïse donner des années que de s’en ôter, c'est surtout lorsqu il s’agit de rôles ; jeunes qu’il faut avoir la figure de la jeunesse: diborié ass que l’on a rarement un air dr quand on n ‘ést pas encore ‘parvenu à l'âge où les traits de Îla physionomie sont entièrement formés. À la figure de son rôle l'acteur doit réunir l'esprit de street, et d analyse. Il faut que sa mémoire embrasse d’un seul coup d'œil tout ce qu'il doit dire non seulement dans le moment actuel, mais tout ce qu'il dira dans la scène qu'il joue, afin de pouvoir régler ses mouvemens, ses tons , son maintien, sur le discours présent, comme sur celui qui va suivre. Cet esprit d'analyse et de discussion, il ne l'aurait pas s1l se contentait de ne savoir que son rôle; il doit savoir , au ‘moins en partie, les rôles des interlocuteurs à avec lesquels il se trouve en scène. Lors-. qu'il possède ces qualités essentielles, 1! FN RQ SAONE TS x peut débuter avec succès, s'il monte son imagination au pain de se persuader que le théâtre n’est qu’ un sallon dans lequel. L figure parmi les persounages qui. S'y trouvent réunis. Qu'il régle alors sontton 6 sur la gravité, ou le peu d'importance du sujet dont on s'entretient, il. feimplira L bien son rôle. dE { Le monde, voilà le véritable be que le comédien doit avoir sans cesse sous les yeux. : HaLE , sur la scène, en habits différens Brillent prélats , ministres et conquérans. L'homme du grand air est souvent plus comédien que celui qui ne l'est qu à cer- taines heures du jour: il joue les amou- reux, les maris, les honnètes gens, ile fat, le glorieux, mieux que l'acteur cité pour bien remplir ces rôles : il les joue d’après nature, et surtout d'aprés le ton du jour. Molière fut le père de la bonne comédie; ses caractères principaux seront de tous les teims; mais ses tableaux accessoires ont changé avec nos usages. Expliquons- 2 "IR y “. (ur) “nous plus clairement. Les financiers du siecle de Louis XIV, les médecins de la même époque , les courtisans même, ne ressemblent plus aux nôtres. En les re- présentant aujourd'hui sur la scène tels qu'ils étaient autrefois, ce serait mettre sous les yeux du spectateur des êtres de raison. On est naturellement habitué à juger par comparaison. Si, par exemple, l'acteur qui remplit le rôle de Turcaret n’en adoucissait pas les couleurs, si, par la finesse de son jeu, il ne couvrait pas le ridicule du personnage qu’on pouvait montrer dans toute sa vérité à l’époque où cette pièce parut, ce rôle charmant ne serait aujourd'hui qu'une caricature rebutante. | Le Sage, en composant Turcaret , s'était abandonné à la fougue d'une imagination ulcérée contre une classe d'hommes dont il avait à se plaindre; {es traitants étaient, sans doute, alors tels que cet auteur les peint. Mais ceux d'aujourd'hui n'ayant aucune espèce de; ressemblance avec leurs > Tv Ç 3") prédécesseurs y. C'est par cette raison que; _ sans être en dissonance avec le rôle, j'ai dit, qu'il fallait en polir un peu l'écorce: Ce n'est pas l'objet en Iui-méme que le spectateur va chercher à la comédie, mais simplement limitation , et quoiqu on exige de la conformité entre l'original et la copies; on Verrdlo eee dégoût les défauts dont le comédien offrè l'image, si da” copie était Aussi désagréable que loriginal. | Cette observation se porte sur tous les rôles dont le comique est autant en action qu'en paroles. : Un homme quise présenterait ivre sur Ja scene, y serait fort mal reçu, mémé en y jouant un rôle d'ivrogne.: Dans les rôles comiques, les unis nous amusent par [a seulefimitation de certains ridicules, les ‘autres ‘par le contraste? qui existe entre le personnage -et celuitqu'il représente. : L'erreur d'une dupe, qui prend un valet pour un homme de qualité, ne sera véritablement plaisante que lors- que la bonné mine du valet pourra faire HOT Eva D excuser cétté erreur: si au contraire rieh he là justifie, cette dupe sera aux yeux du Spectateur tout simplement un homme qui, Yolontairement, se prète à une sup- position qui choque la vraisemblauce. Je sais qu'on ue porté pas toujours dans la’ société le cachet de son état sur sa phy- sionomie : un homme de là plus haute qualité peut avoir la RRRASRES fausse, - ou ignoble, et un valet l'avoir tres-dis- tingueé. Mais sur le Atedtres je le répete, les dons extérieurs de la tilure y sont | nécessaires : s'ils ne font pas partie du talent, au moins, sans eux, une partie du talent se trouve enfouie. La prévention l'étouffe. Je me rappelle, à ce sujet, d'avoir vu un jeune homme, éminemment pro- tégé par lé Mel. duc de Richelieu, se pré- senter au Théâtre francais. 1} avait choisi pour son début le rôle d'Achille, dans lIphigénie de Racine. Ce imälheureux jeune homme , qui n'était pas sans talent, joignait à une figure féminine une stature au-dessous de la plus petite taille, il était g EE a" v- LES RS nl Con TS & en même tems si fluet, qu'il ressemblait à ces poupées déshabillées qui servent de joujoux aux enfans. Assurément il ne pouvait pas faire un plus mauvais choix pour son début que le rôle que je viens de citer, ou, pour mieux dire, aucun ne lui convenait dans la tragédie. Les comé- diens firent, à son sujet, quelques repré- sentations au maréchal; mais force leur fut, de le läisser paraitre une fois, bien certains que le public en ferait justice. Soutenu par une cabale assez puissante, et, 1l faut l'avouer, par une diction pure et l'entente de son rôle, ce débutant fut écouté jusqu'au dernier couplet de la sixième scène du troisième acte; mais quaad il prononça ce vers, dans lequel il mit cependant le ton convenable, Rendez grace au seul nœud qui retient ma colère etc. ce fut une huée générale et des ris tels que je n'en ai entendu de ma vie. Ils se prolongèrent au point qu'on fut forcé de baisser le rideau : la tragédie ve fut point achevée. | (15) . L'exiguité de la personne d'Achille, à côté de la figure imposante de l'acteur qui représentait Agamemnon (Larive), produisirent ce rire universel: on eut dit un piginée défiant un géant. Le mal- heureux debutant profita de la lecon et ce fut un grand bonheur pour Jui, S'il eût persisté à vouloir être acteur, malgré le vœu prononcé de la nature, dans mille rôles il aurait été abreuvé de désagrémens. Il est rare: que le publie manque ‘une application personnelle. Ce jeune homme, qui était peintre et élève de Lagrenée, reprit ses pinceaux, ets'est distingué dans uve carrière pour laquelle il était né. Il est aujourd'hui premier peintre d'un des plus grands souverains de l'Europe. Je viens de dire que le:comédien devait avoir la figure de son rôle. S'il en remplit un dans le comique noble, il doit, assu- rement mettre dans son maintien, comme dans sa diction , une différence réelle entre la maniere de rendre ce rôle et celle qu'il mettrait, sil en remplissait un daus le LD cb ut: SE Li (+167 comique d'un genre opposé; puisque l'un nous montre la nature polie par l'édüca- tion , et que l'autre nous la montre privée de cette culture. Dans le genre noble, l'acteur nous instruit, il cherche à nous corriger en nous faisant la peinture des égaremens de l’esprit, des faiblesses du cœur. Dans le genre opposé l'acteur excite notre gaité, ou par l'air risible qu'il prête au personnage qu'il représente, ou par son talent en nous faisant rire des autres personnages de la pièce. Le rôle que rem: plit un acteur doit Imprimer sur Sa figure l'esprit de'ce rôle. L'envieux doit donc avoir l'air chagrin et brusque : il doit conserver ce ton daus tout ce qu'il dit et fait. Le suffisant titré a l'air distrait et ne regarde que rarement celui à qui il adresse la parole. à | Un Robin, petit maître, affecté des manières précieuses et empésées. Dans tous les rôles il faut ae A tics communs aux personnages qu ‘on re: : (7) présente. - Avez vous à jouer celui du valet d’un riche impertinent ? faites ressortir ce que.peut produre sur, un domestique le raau vais, exemple que. lui donné son mai- tre : empruntez son, ton et: ses'maniêres. Vous. êtes en scène avec un des honnêtes artisans qui travaillent pour, lui, il faut qu'on, lise dans vos yeux et dans votre action le plaisir que vous avez à burilier quelqu'un que sa position, force ‘à vous ménager, dans la persuasion où il est quevous/ pourriez lui nuire pres de ce maître. LOUE Profitez touiouré avec a tade de la ressource que l’auteur vous donne souvent de nous égayer aux dépens des autres per- sonnages de la comédie, soit en les paro- diant, soit en nous peignant d'une manière comique leurs défauts les plus apparens ; : comme lorsque Pasquin, dans, l'Homme a bonnes fortunes , affectant le ton suffi- sant de son maitre, adresse à Marton les mémes discours tenus par Moncade à cette suivante: Suis-je bien Marton 2... .. ( ‘1h68 ‘Adiew mon : enfant. . .. + Jévous “OR le bon jour. | Mais il faut que ces imnitations soïent rendues avec finesse ; autrement, elles seraient froides et insipides: Quand une piècé ne fournit pas par elle-mémé un inmotif: à l'acteur pour dé- ployer la science dé’ $on ‘jeu, il ‘faut qu'il le cherche dans son propre g SéTIe : c'est un maître qui ne saurait l'égarer. 'Souvént c'est un contre: tes qui nous paraît ‘plaisant en raison de limpatience paturelle que montre le personnage qu il contrarite. Par exemple ‘deux personnes s'introduisent dans une maison : 1l importe à l'une, qu'on ignore qu’elle y est entrée; mais l’autre, qui n’a pas la même précau- tion à prendre, s'annonce d'une manière bruyante, et ce n'est qu'après une expli- cation aussi tranquille d'un côté, qu'elle est vive de l’autre, que celui qui a intérêt à n'étre point découvert, parvient à se faire entendre: R Ce jeu demande de la part des acteurs (TF9) en scène un naturel parfait, sans lequel uné pareille scène # au lieu d’être plai- sante , deviendrait très maussade. Un maître, impatient de lire une réponse que lui rapporte son valet, trépigne de Ja lenteur que celui-ci met à lui donner cette lettre : il la cherche dans toutes ses poches, et en tire un tas de papiers ployés qu'il présente à son maitre les uns après les autres : le maître les rejete avéc une sorte de violénce concentrée, que son valet augmente encore, en feignant d’avoir perdu la lettre: enfin 1l la retrouve. Ce jeu de part et d'autre doit être une pantomime courte, mais expressive. : Eraste, dans les Folies amoureuses, ouvre avec empressement le billet qu'Agathe, à Ja faveur d'un feint delire musical, a trouvé le moyen de lui remettre: on croit qu'il va lire ce billet tranquillement, mais Crispin linterrompt en répétant à plu- sieurs reprises les dernières notes chantées par la pupille d'Albert. Cette saillie est d'autant plus comique qu'elle est dans la S ( 120 ) nature. $i nous sartons d'un RUN ne frédonnons nous pas, presque malgré nous, l'air qui nous a le plus frappé? Rien n'est douc plus naturel que. de voir Crispin |, chercher à se rappeler quelques.unes des noles qui retentissent encore à ses oreilles: Souvent un acteur donne a son per- sonnage plus d'esprit quil mest censéen avoir: ou bien il met dans:ce. quil dit . . - # une finesse qui suppose en lui une en- tiere, liberté de raison, quand par la tex- ture de son rôle il est censé éprouverun trouble interieur qui ne lur permet pas de réfléchir, n1:à cequ'il dit, ni à ce- qu'il fait. Ce sont des contre-sens qu'il faut éviter: ils prouvent que l'on est en- tiéremeut.: hors de l'esprit de ces rôles. Il vaut mieux jouer, ce: qu'on appelle en tenme de l'art sagement, que devha- garder un jeu faux, en cherchant à met: tre dans ce que l'on dit de la finesse. On distingue deux sortes dé jeux fins: sur la scène: l'un.counsiste dans les phra- ses ou les mots: le spectateur n a besoin RES SR NP LG PER “(LABS que id'éconter pour. étre FRE à la gaîté par celui ci ; l'autre a besoin d'être vû pour qu'on en éprouve une sensation agréable; il est destiné à l'amusement des yeux. On le nomme jeu de théâtre. Finesse dans la manière de dire, finesse dans la pantomime sont les deux grands ressorts du Comédien. Dans la tragédie , comme dans la comédie, le premier de ces moyens, pour plaire au speclateur, doit être em- ployé suivant les nuances du rôle qu'on remplit : le second appartient particuliè- rement à la comédie, .… Dans la tragédie: il est nécessaire que ce qu'on noïnine jeu de théâtre soit in- timement lié à l’action : on peut être moins sévère dans la comédie, pourvu toutes- fois qu'on ne sorte pas de la vraisem- blance, et que l'acteur ne s'avilisse pas jusqu'à ces manières triviales qui ne sont supportables que sur les tréteaux de la foire... | Le jeu de théâtre s'exécute ou par une seule persoune, comme daus le rôle de ( 144;) Sosie ete. ou par le concours de: plusieurs acteurs. Dans le premier cas le génie du co- médien qui est seul en scène lui dicte ce qu'il a à faire. | | Dans le second il-est nécessaire que les acteurs se. concertent pour qu'il régne dans le rapport de leurs positions, et de leurs mouvemens toute la précision né- cessaire. L'extrème vivacité d'un person- nage fait éclater l'extrême sang-froid de l'autre. Plus un maitre dira à son valet avec l'emportement de la colère. | Comment! double coquin: me tromper de la sorte, plus le valet mettra de sang-froid dans sa réponse | Je m'y suis vu contraint, ou le diable m’emporte, ét mieux cette plaisanterie ressortira. Ce comique de situation se fera mieux sentir dans la situation suivante: lorsque Mascarille maltraité quelques instans'au- paravant par Lelio, sent le besoin que ce- lui-ci a de ses services, plus Lelio lui (3) fa de sites et plus il marque d'indifférence. C'est dans ses réponses bré- vés ét'hautaines qu'il doit, surtout, met- tre ces nuances sans lesquelles leur ridi- cule ne paraitrait pas aussi Phant. qu il hesten eltel.. à. Il est des situations dans lesquellesun Silénce bien ménagé exprime mille fois mieux que tout ce qu'on pourrail dire. Daus lé troisieme acte de la Métromanie, l'étonnément des trois acteurs, expritié par. leur silence, est plus plaisant, sans doute, que des mots qu'il faut attendre ; mais si les traits du visage sont muets et sans expression, si tout dans l'acteur , jusqu'à la position , ne parle pas aux yeux, ce! sera le plus affreux contre-sens qu'il puisse commettre. Et dans la même pièce au cinquième acte ;, lorsque Baliveau , impatienté et excédé de la méprise de Francaleu, lui dit avec humeur : Non, nous ne tenons rien, ... et le pendard à qui j'en veux...... ( a24 ) Baliveau doit garder un moment le silence, comme un homme atiéré en apprenant une nouvelle imprévue, avant de pe M Est-il possible ? | En faisant suivre immédiatement sa ré- ponse, il se trouverait en contradiction. avec les lois de la nature : car nous éprou- vons toujours une ‘émotion qui nous Ôte, au moins pour un moment, la faculté de | parler lorsqu'on nous AO une chose défavorable et qui nous touche de près. Ces oppositions! sont la magie de l’art: l'acteur intelligent les saisira à TE d étu-. dier la scene ; mais comme on n'enseigne point ce qui ne peut pas se réduire en principes , quoiqu'on écrive sur ce Sujet, il restera beaucoup à faire à l'acteur qui ambitionne la gloire de son état. J'ai dit.quil valait mieux, jouer sag rement que de hasarder un Jeu faux. Si parce môt sagement on entendait limitation exacte de la nature commune, on serait d'autant plus dans l'erreur qu'une pareille manière de Jouer, dans tout le cours de : (4857 son rôle , serait fade et insipide. Il est des rôles qui exigent une véhémence de déclamation , et dont le débit par consé- quent sérait faux, si l’on n'outraït pas en pareil cas la nature. Il en est d’autres qui exigent plus encore... .le dirai-je?...: d’être chargés : ces sortes de rôles sont l'écueil ordinaire des acteurs. Employer la charge avec une sorte de sobriété qui ne” descend pas, comme je le disais tout à l'heure, jusqu’à la trivialité, est le talent le plus rare qui puisse se rencontrer. Dans es Fourberies de Scapin, lorsque Scapin contrefait Argante, s'il ne calque pas son ton, sés gestes, son maintien et presque sa figure , enfin s’il ne s'identifie pas avec le père d'Octave, vieillard ridi- cule, avare et emporté, comment fera-t:il illusion à ce jeune amant au point de lui persuader qu'il voit le redoutable Ar- gante dans sa personne ? Les rôles de Crispin, tous tracés dans lé genre burlesque, perdraient de leur gaité s'ils n'étaient pas élayés par la char- (a) ge. Crispin est ordinairement un brava. che, courageux lorsqu'il ne court aucun danger, tremblant pour peu quon lui tienne tête, parlant de ses bonnes for- tunes qui peuvent être rangées sur Ja méme ligne que ses hauts faits d'armes, el se vantant, surtout, avec une im pu- dence sans égale. On juge bien qu'un pareil personnage doit enfler ses tons comme ses gestes. Que serait, par exem: ple, ce vers dans la bouche de Crispin, Savez vous bien, monsieur, que j'étais dans Crémone? s'il le débitait simplement? Ce vers doit être prononcé d'une manière emphatique. Crispin, comme tous les faux braves, s'imagine que plus il appuye sur ce qu'il dit de sa bravoure, et plus il persuade ceux devant, qui il en parle. C'est surtout pour remplir les rôles de ENS « : QE à * $, ss : st Crispin qu il faut être pourvu de ces grà- ces, de ces gentillesses naturelles que l’art ne saurait donner: elles ne s 1imitent pas. Tout rôle qui tient à ce genre {le bur- Ç 127) lesque) tel que Tour bas, dans le Joueur, Harpagon, dans l'Ayare, M. Jourdain dans le Bourgeois gentilhomme etc. etc. per- met à l'acteur qui le remplit de s'aban- donner à une sorte d'exagération dans son débit comme dans son jeu muet; mais pour réussir completement à la rendre alors agréable aux spectateurs, il faut qu’il ait l'art de les conduire à une sorte d'i- vresse qui les mettent hors d'état de pou- voir le juger avec la. même sévérité que s'ils, étaient, de sang-froid. Il faut enfin qu'ils, soient pour ainsi dire de moitié avec lui, et que le plus ou moins de gaité qu'il leur inspire soit le thermo- mètre sur lequel, il se régle pour se taire, agir, ou parler. S:Zout à bas dont le dé- bit doit être vif et sémillant, s'avisait, en terminant l'éloge qu'il fait de son ta- lent dans l'art de professer le trictrac, de dire d'un ton ordinaire .... Vous plairait-il de m'avancer le mois ? ce que cette demande a de vraiment bouf- fon ne produirait aucun effet, | y: - \ ( 129 ) Rs ñ , * e $ LE! é ha Si Harpagon n'est pas animé d'une vio: lénte colère, si la défiance quil a du valét de son fils ue seimble pas lui avoir. troublé la cervelle, que signifiera, après avoir visité les mains de ce valet, cette demande plaisante, montre moi les au- tres. 11 ne serait pas naturel que de sang- froid , il oubliât qu'il parlé des mains de Lafléche et que pensant aux poches de ce valet, il exigeat voir les autres. Il s'en suit de ces observations qu'il est des rôles dans lesquels l'acteur serait in: supportable s'il se contentait de les dé- biter sagernent, et que la charge, loin d'être un défaut, est au contraire un dé: gré de perfection dans la maniére de ren: dre ces rôles. S'il est des pièces dans lesquelles le comi- que peut se livrer à la bouffonnerie, il en : est beaucoup d'autres’ où l'acteur serait loin du rôle, sil cherchaït à l'oùütrer. Lé Sganarelle, par exem ple du Festin de Pierre, serait trés mal Joué s'il ne l'était pas avéc la plus grande simplicité. Le comique dé ( 129 ) | ce rôle repose sur un air de crédulité et de bonne foi qu'il est difficile d'atteindre. C'était un de ceux dans lequel Armand. se distinguait Le plus. Son œil étinéelait du feu de la gaîté, Mais rempli de l’objet qu'il avait à nous peindre Sous un flegme éloquent il-savait la contraindre Au plaisir qu'il donnait, 1 sn se borner Et sans montrer le sien le laissait oupaonaer. x 4 | J'ajouterai sur cet acteur subit és que de tous ses rôles, Pasquin dans {Homme & bonnes fortunes, était celui dans lequel il est resté inimitablé. La nature lui avait donné le masque le plus heureux pour les valets adroïits et fourbes. Le valet et la soubrette des Fausses con- fidences nous offrent encore un exemple du même genre. L'esprit que l’auteur a répandu dans les rôles de l'amant et de la maitresse forment un cotiraste si éton- nant entre les lazzis et les bouffonneries maniérées,. dont les rôles du valet et de la soubrette sont remplis, qu'il faut un 9 (45) tact bien délicat pour faire rire sans s’avilir jusqu’à la farce. R Les Ménechmes ‘ent un comique de si- tuation que rien ne pourrait altérer s'il était possible que cette pièce fut repré- sentée: par deux personnages d'une par- faite ressemblance. Ils n’ont alors qu’à se montrer pour dérider le front de l’hom- me le plus atrabilaire. Cette pièce représentée de cette manière à la cour par Champville (mon frère) et moi, disait Préville, y fit le plus grand plaisir et fut souvent redemandée. Mais comme on ne doit pas compter sur une pareille fortune lorsqu'on joué cette pièce, et qu'il est toujours à présu- mer qu'on se trouve en scène avec un actéur d'un génre de figure différent de la sienne , il ne faut compter que sur le comique du stile. Le dialogue et les dé- tails de cette pièce sont si gais qu'avec de la chaleur, du naturel et de l'ensemble où parvient à produire de l'iliusion. Le stile le moins noble a pourtant sa (3x ) noblesse a dit Boileau Les valets et les soubrettesde: la haute comédie doivent s'appliquer ce principe. Dans leur plus grande familiarité, ils doivent conserver , s'il est permis de : s'exprimer ‘aiusi, la noblesse théâtrale. | ‘Dorine, dans le Tartuffe, doit se cont former au’ ton : du jour. Du terms dé Molière il existait dans les mots une sorte de liberté qui, n'effarouchaut: pas les oreilles , nue demandait alors aucun adou- cissement:: Dévenus plus délicats, nous ne trouvons. aujourd'hui, rien de comique dans ces expressions: au contraire, elles nous choquent. L'actrice doit donc adou- éir ; par sa diction, la liberté du langage dans certains endroits au leu de le faire ressortir. Cest ce qu'on: appelle connaître les convenanuces. ïe Dans les Fourberies de de dont j'ai parlé un peu plus haut, son rôle se compose de deux caractères , dont l'un n'estique folie, mais dont l'autre cache, sous le mème masque, un raisonnement ( 1892 } + g profond. Sa tirade sur les dangers dela chicane exige dans Facteur un- ton de persuasion, qui semble peu coincidéer avec le fond de l'esprit de son rôle. Vérité dans le personnage qu'il repré sente , c'est ce qu'on ne saurait trop ré- péter à l’äcteur. Il n’en est pas un dout il ne puisse rencontrer le nvdèle sur la scène du monde. Qu'il le cherche, il le trouvera. Si l’acteur, chargé de jouer le rôle de T'Homme à bonnes fortunes, s'en reposant uniquement sur l'esprit dans lequel il est conçu, n'y ajoutait pas celui que l'auteur n'a pu y mettre, il le remplirait, sans doute, de manière à être à l'abri de la critique, mais il ne satisferait pas ceux à qui les nuances de, ce rôle ne sauraient échapper. Il renferme une sorte de magie, ändé- pendante . de l'esprit qui le eompose. L'Homme à bonnes fortunes est un fat, qui ne croit à la vertu d'aucune femme, et qui, cachant des désirs vrais où faux } (4182). sous le masque de l'amour, croit devoir triompher du moment qu'il s'est montré: Son bonheur n'est pas de ‘posséder une femme, c'est de persuader qu il Ja possède. Baron, auteur de cette pièce, jouait ce rôle d'après nature: c'était son: portrait qu'il avait fait, et les traits qu'il n'avait pas pu peindre dans sa pièce, il:les faisait ressortir à la représentation} avec d'autant plus de naturél qu'il répétait ce qu'il se- proposait peut-être de faire en réalité au sortir de la scène. 317 | -Doué d’une figure charmante, et d’un genre d'esprit ‘très-aimable, : plus d'une femme de: haut: parage l'avait avoué pour son amant, et peut-être eut-il été plus diseret , si l'on n'eut pas ainsi flatté l’or- gueil naturel à tout homme qui possède Je don de plaire. Le sien s’en était accru au point qu'il croyait que nulle femme ne devait lui résister. La‘belle ‘duchesse de M...: qu'il rencontra ‘chez une dame qui avait des bontés pour lui, ayant re- poussé avec hauteur quelques complimens LUS ( 184} galans qu'il luiradressait ;1l jura de s’en venger, etades: le, méme soir il envoya sa voiture, bien reconnaissable, passer la nuit prés de l'hôtel de ‘la duchesse et répéta ce manège. jusqu'à ce qu'ebfin sa voiture fat remarquée. 11 ne fut bruit alors à Paris et à la -cont que de cette nouvelle bonne fortune:de: Baron: Ce! trait d'insos lante et coupable fatuitéra plus d'une fois été répété, par cet'acteur. Dans: âge où les passions sont éteintes } il'avoriait à ses amis, que, dans sa jeunesse ;, donner à croire; qu'il avait été favorisé d'une femme de cour, élail pour lui un triomphe plus parfait, que:sil.én-eût éte véritablement favorisé et! forcé -à: 14 discrétion. : Dans les arts utiles; comme dans ceux qui ne sont qu'agréables, où peut former un excellent éleve: du sujet qui, semble d'abord n'avoir aucune aptitude pour ce- lui qu'ou lui-enseigne. La raison en est simple: les arts utiles, ret! guelques uns néme des arts agréables, tienuent à Fimi- tation. A force de mediter son modèle, # (185) on, parvient à en faire des copies dontles défauts sont corrigés par le maitre, qui a, l'attention de toujours rappeler aux principes et d'amener ainsi son écolier à l'étude refléchie de ces principes qui le conduisent enfin à la perfection. : Voilà le matériel des aris d'imitation dans lesquels on peut exceller sans que la nature ait, fait pour celui qui sy livre d'autre effort que celui de l'armer de pa- tience. L'esprit entre pour bien peu de chose dans la culture d'un de ces arts. , Il n'en est pas de même de l’art de la comédie : on ne saurait l'enseigner. Il faut naître comédien: et alors on a besoin d’un guide et non d’un maitre. Jai entendu raconter à Préville l'anec- dote qu’on va lire: On l'avait engagé à venir passer à Rouen, le tems des vacances du théâtre français, à l’effet d'y donner quelques représenta- tions. En, y arrivant il monta une pièce qui n'avait pas encore été donnéé dans celte ville: elle était demandée par les ( 136 ) personnes les plus distinguées. Le rôle d'amoureuse devait être ‘jouée par une actricé dont le talent était très exalté: une Jégère incommodité l'avait empêchee de- puis que Préville était à Rouen, de pa- raître sur la scène, ensorte qu'il ne pou- vait juger de son talent que sur la foi des autres. A la premiere repétition de cette piece ; il trouva que cette actrice ne mettait pas dans son rôle la tendresse qu'il éxigeait, et il se permit de lui faire quelques observations qu'elle reçut avec reconnaissance: elle Îe supplia méme de vouloir bien lui indiquer ses fautes, et enfin de lui faire la grâce de-lui donner des leçons qui la missent en état de jouer son rôle de manière à figurer dignement pres d'un comédien du théâtre français : cette phrase est Httéralement Ha sienpe, et je ne la rapporte que pour prouver qu'elle était bien convaincue qu'elle devait à sa charmante fisure , et à son organe, vraiment séduisant, plutôt qu'à un vérita- ble talent, la réputation dont elle jouissait. | FR nP87 )) Les lecons de Préville ne purént lui donner ce qui lui manquait. La première ‘représentation de la pièce était annoncée, et pour la dernière fois il lui faisait ré- “péter son rôle. Fatigué du péu ‘de pro- grès qu'elle avait faits. — «Ce: que je vous demande, Jui dit cel acteur , est pourtant bien facile. Dans la pièce vous êtes-éprise d'un feu violent pour un infidele : Voilà tout Fésprit de votre rôle. Et bien sup- posez que: vous êtes trahie, par M.... (c'était un jeune homme dont on la di- sait éperduement amoureuse):et qu'il vous dbandoune, que feriez vous ?5 — «Moi, ré- poudit-elle, je chercherais au plutôt un autre amant pour me venger de lui.x* On ne pouvait guères s attendre à cette réponse naïve. — «En ce cas, lui répli- qua Préville, nous avons perdu tous deux pos peines; Jamais vous ne Jouerez bien un rôle qui exigera de la sensibilité, ja- mais vous, n'exprimerez les délicatesses de Famour. » | | Re ne cat D DT. ( 138 ) ‘A la suite de cette ‘anecdote il ajouta: «Mon expérience sur l'art dramatique, et les observations que J'ai été à portée de faire, m'ont convaincu ‘d'une vérité qui paraîtra peut être paradoxale à bien des gens: c’est qu'au théâtre on peut ex- primer |toutes les passions sans les avoir jamais éprouvées par soi-même , l'amour excepté. L'homme le plus doux repré- sentera très bien un personnage cruel: avec le plus profond mépris pour la fa- tuité , un acteur copiera parfaitement tous les ridicules d’un petit maitre; et, celui qui sera doûé du caractère le plus. pa- cifique contrefera facilement l’emporte- ment d’un bourru et ses manières bizar- res; mais l'expression de la tendresse n’é- tant point du ressort de l'art, il me pa- rait impossible de latteindre si jamais on n'a éprouvé ce sentiment, et lorsqu'on J'a éprouvé comme il's'affaiblit avec l'âge, c'est aussi quand l’àäge heureux d'aimér est passé qu'il faut renoncer à l'emploi des amoureux. On ne les joue plus alors | ( 139 ) qué par souvenir, et dans ce cas le sou- venir nous sert toujours mal». | L'esprit d'un rôle est marqué d'une manière invariable dans les comédies de caractère. L'acteur n'a qu'à suivre pas à pas le chemin qui lui est tracé par l'au- teur: qu'il soit toujours vrai, toujours na: tüurel, qu'il ne cherche pas à mettre dans ses rôles ou une‘finesse d'expression, ou uné finesse de jeu muet qui n'y existe pas, ül sera toujours sür de les jouer!'d'une manière à mériter de justes applaudisse- mens. fi - Il n'en est pas de même des pièces d'intrigue. Ce genre de comédie n’est ure dinairement, composé que de Jolies pen- sées ,.de situations plaisantes, de repar- ties agréables, de fines saillies renfermées dans un cadre léger qu’on apperçoit à peine. Quelquefois une teinte de philo sophiése trouve mélée à ces détails char: mans. Telles sont entre autres lés comédies de Marivaux, que l’on peut regarder com. Cao) me le créateur de ‘cette nouvelle école, Presque toutes ces pièces péchant par le ‘peu d'intérêt qu'elles présentent, et l'es- prit remplaçant par tout cet intérêt, l'âme de la comédie, il s’en suit que le dialo- gue, tout spirituel qu'il est, ne peut capter l'attention du spectateur que par une sorte de magie dans la maniere. de le débiter. C'est dans ces pièces, surtout, qu'il faut un ensemble parfait: un seul défaut de mémoire de la part d'un des acteurs suffirait pour détruire l'illusion de la scène, puisque tout ce qui se dit alors, est dans le personnage le jet de l'esprit et non celui de la réflexion: De toutes les pièces de Marivaux, sa comédie des Fausses Confidences est celle dont le dialogue est le plus naturel: c’est aussi celle dans laquelle les rôles du valet et de la soubrette sont le mieux tracés. Cependant le rôle de cette soubrette ne réssemble point, en tout, à ceux des sou: brettes ordinaires de la comédie, il faut dans celui ci, outre la grâce, l'arsance et Can le naturel aimable, qualités exigées des actrices qui üennent cet emploi, un ton de décence qui élève le rôle presqu’au rang des. amoureuses de la haute comédie. dl est encore un autre genre de 0h le drame, dont la Chaussée, ne fut pas, l'inventeur comme beaucoup de gens le croyent, mais qu'il fit revivre d’une ma- nière assez brillante pour élever dans la république des lettrés des discussions lu- mineuses sur ce nouveau genre qui eut déslors des détracteurs ardens, des secta- teurs Zélés et des imitateurs que leur mé- rite avait placés au nombre des plus beaux esprits. Je ne hazarderai point mon jugement particulier sur ce genre de comédie, mais je w'ai jatmais vu à Paris, comme dans la province, Mélanide; l'Enfant prodigue ; Nanine, le Philosophe sans le Savoir, le Père de Famille, Eugénie, les Deux Amis, manquer popique les auteurs de ces di- verses pièces s en étaient promis. Partout j'ai vu couler des larmes à la représenta- Ciga) tion de ces drames. Il est donc vrai que la peinture touchante d'un malbeur do- puestique , est plus puissante sur nous, que celle d'un malheur qui ne saurait nous atteindre. C'est, en général le tableau de ce malheur si éloigné de nous que nous représente la tragédie. | \ Le drame bien moins exigeant encore que la tragédie et la haute comédie, n’a besoin que d'être parlé. Ce sont absolu- ment des scènes de sociéte dont le ton est marqué par le caractere des personnages : il n'y a point d'acteurs dans le salon.de: Vanderk, 1l faut que le public les perde de vue. C'est ici le cas de faire observer aux acteurs de province qu'ils dénaturent le rôle d'Antoine en en faisaut une espèce de niais, et en se donnant la torture pour rendre plaisant un rôle qui par lui-même u'a rien que d'attendrissant. | Au reste ce genre de comédie est celui qui demande le moins de talent dans un acteur. C'est aussi celui dans lequel avec peu de connaissance de l’art de la comédie ({ 443 ) on réussit. oiéuni Quelle en est la cause ? Je laisse au Jecteur à la décider. «Ceux qui ne sont qu'apprentifs dans l'art, de la déclamation , ne devraient Ja- mais nous Féposer En re nécessité. de les entendre ; ; car, sil était possible , Fu drait être. maître la première fois qu’on se présente pour parler en public. de Cette pensée de Riccobini me parait judicieuse : on ne doit point exiger a® spectateur. qu'il ait la patience d' attendre que l'acteur ait atteint le sublime de son art :04 doit lui plaire des son début, et ce début, il ne doit le risquer que lors- que les leçons du | RP auront perfec- tionné en lui les qualités naturelles qu'il a apportées en naissant ; sûr de ses mo- yens, la première fois qu'il paraîtra en scène , 1l aura cette noble assurance que donne la certitude du talent, et ne se laissera pas vaincre par cette timidité qui en dénote la faiblesse. C’est respecter le public que de se montrer à ses yeux digne de lui plaire, et de ue devoir les premiers à L | (! i4 } âpplaudissemens qu'à la justesse: de son. jeu , et non à la faiblesse qu'of lui-mouitré. d'être interdit par sa présence. On sent parfaitement que la noble assu: rance que Jj'exige du débutant, comime de l'acteur consommé, n'est point cette hardiesse qui semble tout braver, et à laquelle serait encore préférable la timi- dité ‘qui attenue tous Îles moyens. ù L'une révolte le spectateur Île plus bénévole ; l'autre au moins inspire quelqu'intérèt ; mais cet intérét approche si fort de la pitié qu'il faut faire ensorte de ne jamais le mériter. | É | Je viens de citer Riccoboni ; c’est une occasion de m'étendre un peu plus à son sujet. Tout en rendant justice à ses con- naissances étendues sur l'art de la décla- mation, il est un point cepéndant sur lequel je ne saurais être d'accord avec lui. «L'acteur, dit-il, ne, doit pas faire le moindre effort pour arreter ses. larmes (dans un morceau pathétique) si elles (145 } viennent naturellément ; elles touchent et emportent le suffrage des spectateurs » Je: vais laisser. au fils l'honneur de re- lever, cette assertion qui est entiérement contraire a mon opinion. | «Si dans un endroit d sale sl vous.vous laissez emporter au sentiment de votre rôle, votre cœur se trouvera tout.à coup serré; votre voix s’étouffera presqu'entiérement ; s'il tombe une seule larme. de vos yeux, des sanglots involon- tairesvous embarasseront le gosier , et il vous sera impossible de prononcer un mot sans des hoquets ridicules. Si vous devez alors: passer subitement à là plus'grande colère, celà vous sera-t-1l possible ? Non, sans doute. Vous chercherez à vous ïre- mettre. d'un état qui vous ote la: faculté de poursuivre. Un froid mortel s’empa- rera de tous vos sens, et vous ne Jouerez plusique machinalement. Que deviendra alors l'expression d’un sentiment qui de- mande beaucoup plus de chaleur et d’ex- pression que le premier ? etc.'etc » 19 CRT | Ê Cette opinion de Riccoboni, fils, coincide d'autant mieux avec la mienne que l’ex- périence m'a prouvé qu'elle était fondée. J'ai vu nombre d'acteurs forcés d'aban- donner le genre pathétique en raison de cette pente excessive à l’attendrissement, et à leur trop de facilité à répandre des larmes. On éprouve, sans doute , une très vive émotion en jouant les morceaux de sensibilité; mais l’art du véritable: co- médien consiste à Connaitre parfaitement quels sont les mouvemens de la nature dans les autres, et à demeurer toujours assez maitre de son âme, pour la faire, à son gré, ressembler à celle d'autrui. On pourrait, sans doute, donner plus d'extension aux principes de l’art théätral, mais je crois en avoir assez dit pour celui qui se destine à la scène française, étant doué de tous les dons nécessaires pour y réussir, et dix volumes sur cet artdivin ne feraient pas un comédien de l’homme à qui Ja nature aurait refusé ce qu'elle a accordé / / ( 147) au Cameléon , je veux dire, le pouvoit derse montrer sous toutes les formes: 1 Je neprétends pas, cependant, détourner duthéâtre celui qui ne réuuirait pas la multiplicité des. dispositions. nécessaires pour remplir tous les caractères en générel. La nature est avare de ces 'phénoniènes qui paraissent’ une fois dans un siècle, et-c'enesttun, sans doute, qu'un comé: dient qui : possède un pareil talent. Pour notre ‘siéele ‘ce phénomène était réservé à l'Angleterre: Garrick n'eut de rival dans aucun-payÿs, et le titre qu'il mérita ‘est encore vacant: Mais comme il'y a dés degrés: dans les arts, ‘comme dans Îles divers états’, sans étre comédien dans toute l'étendue du terme, on peut étre acteur sublime, et-sous ce rapport occuper un rang distitigué sur: la ‘scène française. Lors mêmé qu'on est incapable de remplir un premier rôle, on peut briller au second rang'et se faire une réputation dans Îles raisonneurs , les confidéns'et autres rôles subalternest Il n’en est pas un seul qui (148) soil à dédaigner; ceux qui paraissent peu importans sont souvent ceux qui ont couté le plus de peine à leur auteur; etlils peuvent encore donner la preuve du talent de l'acteur, si celui-ci ne se néglige:pas, comme cela n'est que trop | ordinaire; dans la manière de les débiter. J'ai cru devoir ajouter ici quelques ob- servations particulières qui ne tiennent pas à la déclamation, mais seulement aux convenances,. tant personnelles à Hagr teur que théâtrales, Un acteur, qui n'ayant jamais, paru sur aucun théâtre, choisirait pour son début un de ce ces rôles marqués au coin de la plus noire méchanceté, tels que Narcisse, Atrée, Antenor, le Tartuffe etc. commettrait une mal-adresse.. Mieux il aurait rempli l'un de ces rôles, et plus lidée qu'il nen-a fait choix que par une sorte d'analogie avec sà manière de penser, s’imprimerait dans l'imagination de certaines gens qui croyent'qu on ne joue bien qu'autant qu'on est; par carac- à de mn tan À à ( 149) tere, dans l'esprit de son rôle. C'est, sans doute, parmi le plus petit nombre des spectateurs que se rencontre une pareille manière de juger, mais encore, faut-il éviter. ce léger écueil. L'acteur qui débute . doit capter son auditoire entier: il faut donc qu'il choisisse un rôle qui intéresse en sa faveur. i Ê Floridor, acteur généralement chéri et estimé du public, avait été chargé, lors- qu’on donna Britannicus, du rôle de Néron: on ne lui vit remplir un aussi méchant caractère qu'avec répugnance; ce rôle fut donné à un autre acteur moins aimé, la pièce parut y gagner et n'en fut que plus applaudie. ; On souffre en voyant un acteur auquel on $intéresse chargé d'un personnage odieux. (*)} Cette seule raison est décisive en faveur de mon observation. () Préville, lorsqu'il joua, pour la première fois, dans le rôle du Féndicatif, parut fort au-dessous de son talent. C'était la plus forte preuve que le à PAGES (280 ). :Précédé par sa réputation personnelle, l'acteur gagne souvent à remplir certains rôles. S'ilest Connu pour avoir de bonnes mœurs, il inspirera aux spectateurs un double intérêt, sil parait en scène sous le masque heureux d’un personnage ver- tueux Le public saisit avec empresse- ment l'esprit des rôles pour en faire Fap- plication , sil y a lieu, à Facteur où à° l'actrice qui les représentent. Par exemple , si l'actrice, chargée du rôle de Rosalie dans le Barnevelt français, qui ne se Joué qu'en province; est recons nue publiquement pour avoir des mœurs licencieuses, si, à cette prévention générale, elle joint une manière de jouer ce rôle telle qu'effectivement il ‘doit être joué, elle aura, sans doute, le mérite honteux (*} de public pouvait lui donner de l'estime qu'il avait pour sa personne: car, dans ce rôle comme dans tous les autres, Prévillese montrait grand comédien, () C'est faire tomber le masque d’un lépreux que de mettre en scène un rôle tel que celui je Rosalie. Cii61+) l'avoir parfaitement rempli : mais la pièce ‘ révoltera encore plus les honnètes gens par le dégoût de voir ainsi le personnage et - l'actrice sous un point de vue aussi odieux. Le lecteur n'a pas oublié que Préville après ‘avoir quitté le théâtre en 1786, était revenu en 179t se réunir à ses an- ciens camarades: jen ai dit succinctement la cause: il faut la dévélopper. L'histoire du théâtre français à cette époque se trou- ve nécessairement liée-à l'historique de ce vieil ami de Thalie. Sa sensibilité ex- trême....... Mais n’anticipons point sur ” les événemens: on saura toujours trop tôt quels funestes effets la révolution opéra sur cet homme à qui la nature avait don- né un fond de gaiîté que, dans tout au- tre tems, il eût conservé jusqu’au der- nier moment de sa vie. En mettant sous les yeux du lecteur le . tableau rapide de la révolution du théâtre français, mon dessein n'est pas de rap- peler des haines justement oubliées, en- (:t8s) core moins de ramasser dans les ordures du tems ces anecdotes scandaleuses qui; lors même qu'elles seraient vraies, ré- voltent la délicatesse du lecteur comme celle de l'écrivain, On me pardonnera donc si je ne fais, lorsque l’occasion s'en présentera , qu'indiquer certains faits sans m'appésantir sur les détails. : 2 Ma profession de foi n’entraine cepen- dant pas l'obligation de me taire surces hommes contre lesquels Fiudignation pu- blique s'était si justeruent pronencee. Ne pas dire ce qu'ils étaient, Serait alorsin- duire lé lecteur en erreur. On peut rapporterdes premiers germes de dissension qui s'elevèrent parmi les comédiens, sociétaires du théâtre français à l’époque de la premiere représentation de Charles IX, tragédie de M. Cheuier, donnée le 4 novembre 1789. À cette époque, encore nouvelle, de la révolution, où toutes les têtes bouillon- naient de l'esprit de-lberté qui en était (397) \ la bâse , c'était un spectacle bien éton- pant, sans doute, que celui d'un roi ‘10 français présidant au massacre de ses su: : jets, et se trouvant lui-même, si l'on veut en croire l'histoire, un des acteurs de cette scène de barbarie, St. Phal, on ‘en dévine le motif, avait refusé le rôle de Charles IX. Talma, qui jusqu'alors n'avait paru que dans des rôles trop peu importans pour donner l’idée du beau ta- lent qu'il possédait déjà, se chargea, au refus de St:Phal, du rôle de Charles IX. Il y développa des moyens qu'on était loin de lui soupçonner, et l'on put, de ce moment, présager que ce Jeune ac- teur deviendrait bientôt un des soutiens de la scène française: il est inutile de dire qu'il a réalisé les espérances flatteu. ses qu'on avait dès-lors conçues de lui. Le rôle de Charles IX fut presque le seul que joua Talima pendant les cinq mois qui précédèrent la clôture des fran- k çais qui eut lieu à l'époque ordinaire de | Fannée théâtrale : elle sé fit le vingt mars / ( 194 ) 1700, par une représentation de Méro- pe, suivie de la Gageure imprévue. Suivant l'usage, l'acteur chargé de pro- noncer le discours de clôture se présenta entre les deux pièces. C'était Dazincourt, acteur chéri du public ,.et quidut, sans doute, à l'estime qu'on faisait de sa per- sonne et de son talent de n'être pas sifflé par une partie des spectateurs, après avoir terminé ce discours, que je vais mettre sous les yeux du lecteur , en le faisant précéder de quelques réflexions nécessai- res pour son intelligence. La reddition de compte que M. de Beau- marchais avait exigé des comédiens fran- cais, lors des représentations du Barbier de Séville, avait excité des réclamations semblables à la sienne, de la part des auteurs dramatiques: il s'en était suivi, près des gentils-hommes de la chambre, un procès interminable, parce que les deux partis ayant de justes droits à.deé- fendre aucun ne voulait se relâcher des siens. Quelques brouillons crurent pou- . (:#85 9 voir ‘trancher le nœud en demandant l'é- tablissement d'un second théâtre, espé- rant trouver chez les acteurs qui le com- poseraient des avantages plus proportion- nels à leurs travaux dramatiques; mais s'ils eussent fait réflexion qu'en sollici= tant un pareil. établissement, ils dimi- nuaient essentiellement la gloire du pre- mier théâtre de l'univers, sans doute, ils eussent rejeté loin d'eux une pareille idée. | Quoiqu'il en soit, la nouveauté de cette idée sourit au public, et fut d'autant plus ‘encouragée qu'on était à peu pres certain que plusieurs acteurs recomnman- dables par leurs talens, et dont les opi- nions ne coincidaient pas, alors, avec celles de leurs camarades, profiteraient de cette occasion pour se réunir au théâtre rival. Ajoutez encore qu'à cette époque le parterre incité par des esprits remuans, avait, pour ainsi dire, Ôté aux comé- diens le droit de jouer les pièces telles qu'elles étaient portées sur le répertoire. [l L Tr CN" FR 1 n le ” : \ tx : æ (356 :} 1} dictait alors ses ordres ; et demandait celle qui lui convenait, même celle des pièces à l'étude à laquelle les réglemens n'assignaient qu'un rang postérieur. C'est dans ces circonstances que Dazincourt pro- ronça le discours suivant, MM. | «Nous profitons avec empressement du jour que l'usage à consacré pour vous présenter nos recpects et l'hommage de notre renonnaissance; mais une Juste COn- fiance en vos bontés nous encourage, en même tems, à déposer dans votre sein la douleur dont nous sommes pénétrés. Depuis long-tems le théâtre français est en butte à des rigueurs affligeantes : il sem- ble qu'on ait tenté de nous faire perdre cette liberté d'âme et d'esprit si néces- saires à l’art du comédien. Des études mul- tipliées, des efforts sans nombre, des bienfaits sagement répandus et publiés, malgré nous, ne nous ont valu que des interprétations injurieuses. Une jalouse cupidite, dont nous ne ous permettrons à LR (187 ) pas de dévoiler le secret; et qui voudrait s'élever sur nos débris, a cherché con- ' stamment, depuis plusieurs mois,:à fa- 4 tiguer et décourager notre zèle. | «Pour ne nous arrêter que sur un: seul point, peus a+ démandé: la représentation de-tel outel ouvrage, sans songer que les pièces déjà reçues avaient de droit d'é- tre représentées au paravant, de manière qu'on, ne pourrait: adhérer à de pareils vœux sans attenter aux propriétés; ce qui, nous ,osons Je croire, serait contraire; à, l'intention. de ceux même qui, par ces demandes, croyant réparer des torts, ne font que solliciter une injustice Enfin, MM. si quelques abus se sont glissés dans un établissement dont les détails sonit aussi difficiles que multipliés, si le tems sem- ble + avoir, amené le, besoin de quelques changemens utiles, ne nous.est-il pas per- mis d'observer qu'une discussion sage et dirigée par la bonne foi serait plus pro- pre à ramener à un meilleur ordre de choses, à concilier les divers intérets et (488). à contribuer plus complétement à vos plaisirs, ainsi qu'à la gloire:-des votre théâtre ? | | «Agrééz, MM. , que nous n'opposions désormais à tous ces orages qu'un silen- ce respectueux, un zèle toujours renais- sant, et ce courage qui doit animerceux à qui vous avez confié le dépôt de: vos richesses dramatiques» … faisauu L'ancien secrétaire (*) du vieux maréchal duc de Richelieu avait, comme on voit, un peu profité des principes dé son mai- ire. Ilétait difficile dans la situation ‘où se trouvait alors le théâtre français dé pro- noucer un discours ‘plus adroit, et pré: sénter ses camarades et lui; comme vic: times itijustement persécutées, c'était dôu- bler l'intérêt des spectateurs, qui, attachés au théâtre français, flottaient entre les déux partis, et c'etait énchainer lésilénce des ennetnis de cét établissement. Mäis ceux: a (*) Dazincourt, avant de monter Sur la scène. avait été secrétaire du maréchal de Richeliens" ( 199 ) ci n’en furent que plus acharnés à en opé- rer ‘le renversemeut. | -:Le- vingt-deux Avril le théâtre français fit son ouverture ,et cette fois Naudet fut chargé de haranguer le public. Voici son discours : MM. | « Des arrangemens sürs ; ‘invariables nous permettent d'abréger autant que vous dédésirez la clôture dé notre théâtre. Nos! soins ne’se borneront point à ce sacrifice apparent, qui nous devient: pré- cieux par le désir que vous en avez ma- nifesté. Des artistes consultés sur les moyens de procurer à la classe des citoyens les moins aisés, la facilité d'assister à la représentation de nos chefs-d'œuvre ; nous ont fait espérer de pratiquer dans cette salle plus de six cents places à un:prix modéré, qui ne nuiront en rien à la commodité des autres spectateurs, «Vous assurer des plus'constans efforts et du respect le plus profond, ‘voilà, MM. le plus doux de mes devoirs, et le ( 160 ) vœu d'une société dont le zèle a pu êtte attristé , mais jamais ralenti. Nous serons toujours rassurés par le souvenir des bon- tés d'une nation généreuse et éclairée, qui, juge et protectrice des talens we toujours sçu leur dispenser, avec autant de goût que de justice, et la leçon et l'encouragement.» j Dans tous les tems le respect et, la; re- connaissance ont toujours dicté aux! co: médiens français les discours d'usage qu'ils prononcent à la clôture.ou à l'ouverture de leur théâtre: mais, il est facile de woir qu'à l'époque, où ceux que je viens de iranscrire furent débités , ils avaientsautre chose à dire qu'à demander au public Ja continuation de ses bontés: IL fallait, pour ainsi dire, enchainer doucereusement une multitude qui n'était plus ce publie connaisseur et idolâtre de la scene fran- çaise, et certes, la chose était d'autant plus diffiile, que les petites dissensions qui avaient lieu derrière ‘la toile étant alors la nouvelle du jour, le spectateur, { 161 ) au lever du rideau, croyait venger l'ac- teur qu'il affectionnait , en sifflant celui dont il imagivait qu'il avait à se plaindre, d'où il s'en suivait que les représentations nese passaient qu'au milieu d'un tumulte effrayant, et dont il était facile de pré- sager les suites. _ Quelque soit le talent dont on est doué, il ne peut que se paraliser dansune telle si: tuation: aussi les pièces étaient-elles jouées avec une négligence dont on aurait peine à se faire l'idée , et cette négligence éloig- nait d'autant plus les véritables amateurs des chefs-d'œuvre de la scène francaise. Le cri public demandait Larive qui s'était retiré du théâtre: l'estime que ses anciens camarades avaient toujours conservéé pour lui ,bien plus que leur intérêt, leur faisait désirer quil se rendit à ce vœu unani mement prononcé : 1l céda à leurs instan. ces, et reparut sur le théâtre de sa gloire. 11 avait choisi le rôle d'OEdipe pour sa rentrée: jamais Lekain n'avait excité plus d'enthousiasme dans ce rôle que n'en excita 11 (nb Larive. Il le joua en acteur consomme. La présence de ce comédien , chéri du pu- blic pour son beau talent et pour la pureté de ses principes, avait ramené la foule au théâtre français, et rendu aux acteurs l'énergie qu'ils avaient perdue. La gloire est la récompense des veilles que l'acteur sacrifie à l'étude de son art: Talma, inactif depuis long-tems, sentait le besoin de se rappeler à un public, qui l'avait couvert d'applaudissemens dans le seul rôle important dont 1l était en 1pos- session ; maisil attendait, sans impatience, l'occasion de lui prouver qu’il avait pro- fité de ce tems d'inaction pour mériter de nouveaux applaudissemens. Ce mo- ment arriva lorsqu'il s’y attendait le moins. Depuis long-tems la représentation ‘de Charles IX avait été interrompue : M. de Mirabeau, alors député de la ville de Mar- seille, en demanda la reprise: Mde, Vestris et St.-Prix étaient précisément indisposés au moment où il fit cette demande : Naudet, s'avançant sur le bord de la scène, pria . RFF ( 168 } le public de permettre qu'on en retardât la réprésentation de quelques jours. Des | gens mal intentionnés ne virent dans cette supplique si naturelle qu'un refus fondé ‘sur l'aristocratie des comédiens. Par un motif très louable, et pour éviter une scène scandaleuse à laquelle une partie du public paraissait disposé, Talma s’élança de la coulisse où il était, et remplaçant Naudet, «MM. , dit-il, permettez- moi d'être l'organe de mes camarades, et de vous protester ici, en leur nom, qu'ils n'out rien plus à cœur que de faire tout ce qui peut vous être agréable, Si, jus- qu'à présent, on a retardé la reprise de Charles IX, cétait pour souscrire aux vues de l’auteur qui n'a pas voulu que sa pièce fut mise au répertoire pendant les grandes chaleurs de l'été : mais vous en désirez une représentation, ce seul désir nous suffit, et Madame Vestris fera preuve de son zele,. malgré son indisposition , qui est légere à la vérité, en remplissant le rôle de Catherine de Médicis, , Quant à Plus 5 SES OR 2 En «— RE LP NET QU COVER Na” RES RE ls Var ( 164 ) M. St.-Prix, sa situation est telle, qu'il est absolument hors d'état de remplir le sien : veuillez donc, MM., permettre qu'un acteur lise le rôle, et nous allons à l'instant vous prouver le respect que nous avons pour vos décisions.» Cette proposition fut 20026) et Talma, couvert d’applaudissemens pendant le cours de la piece, fut demandé à grands cris aprés la représentation. La diversité des opinions, à cette épo: que, où l’on ne pardonnait pas à son. meilleur ami d’en avoir une différente de celle qu’on professait, divisa la société des comédiens comme élle divisait alors les familles les plus unies. Talma était l'élève de Dugazon, c'en fut assez pour qu’ ‘on coufondit la reconnaissance qu'il lui devait en cette qualité, avec l’atta- chement aux principes politiques que pro: fessait hautement ce comédien , la honte de sa société. La suite prouvera combien peu il partageait les affreuses opinions de son maitre. à ( 165 ) +. D'après une querelle qu’il avait eue avec Naudet, et à laquelle on donna trop de publicité, querelle dans laquelle plusieurs comédiens prirent parti pour l'un ou pour l’autre, et qui entraîna après elle de ces propos qu'on pardonne difficile- ment parcequ'ils froissent l’'amour-propre, quelques comédiens prirent entr'eux un _arrèté pour exclure Talma de leur société. L'infortuné Bailly, alors maire de Paris, ayant eu connaissance de cet arrêté, fit dire aux comédiens, qu'il leur conseillait de faire un pas rétrograde sur une déter- mination qui blessait les lois de la raison, et de continuer à jouer avec Talma, atten- du qu'ils ne pouvaïent pas être juges et parties dans une cause qui les concernait. Les plus sages d'entre les comédiens dé- cidèrent qu'il fallait obtemperer à ce con- seil, dieté par.une juste imodération. Une seule tête te détourna de suivre cette première impulsion: et quand il était encore possible, malgré cette /derniere détermination, prise sans réflexion, de ss ( 166 ) tout concilier, l'homme le plus turbulent que les comédiens ayent jamais eu parmi eux, Dugazon, se présenta le même jour sur la scène au lever du rideau et s’écria: « MM. je vous dénünce tous les comédiens : ils ont pris contre M. Talma un arrêté qui l'exclut de leur société, et se pro- posent de prendre le même contre moi; le seul reproche qu'ils puissent nous faire est de ne pas vouloir adopter les prin- cipes aristocratiques qu'ils professent hau- tement. » Apres cette indeécente sorte, Dugazon disparut, Comme il devait jouer ün rôle. dans la première pièce, on fut quelque tems à delibérer sur celle qu'on donnerait pour la remplacer. Le public encore. plus jimpatienté de ce retard que du plat dis- cours de Dugazon, faisait un vacarme horrible : les acteurs étaient au moment d'entrer en scène, mais déjà une partie du parterre avait escaladé ! Le théâtre , l'autre s'était emparée des banquettes ét les brisait en mille piéces; enfin, ouze pr (fe AR ER heures étaient sonnées et la foule qui s'était grossie de tous les gens qui avaient pu ‘pénétrer dans la salle, ne pensait pas encore à se retirer, Ce ne fut que vers une heure du matin qu’on songeä à faire retraite. ‘On me reprochera peut-être d’être un peux bref sur des événemens dont, sans doute, ‘plus d’un lecteur retrouve dans sa mémoire les souvenirs fàcheux plus étendus; mais Jai cru devoir élaguer de mon récit tout ce qui nest pas essen- tiellement lié à l'histoire du théâtre fran- çais. TU R | La scène Fe ARE dont je viens de rendre compte nécessita la clôture de la comédie pendant deux mois. Enfin le 28 septembre les comédiens eurent la per- mission de rouvrir leur salle, et Talma, réuni à ses camarades, reparut dans le rôle de Charles IX. Mais le feu qui dé- vorait l'intérieur de la comédie était ca- ché sous une cendre trompeuse: M.lles Sainval, Contat et Raucour quittérent & KHAN ( F68 ) le théâtre, ne voulant plus être témoins des divisions intestines qui devaient 1ôt ou tard saper les fondemens d’une société qui, jusqu'alors, n'avait eu qu’une mé- ne pensée, pour tout ce qui concérnait la plus grande gloire de la scène; On at- iribua leur retraite à tout autre motif, dont on rendait compte dans des épi- grammes grossières; elles ne s'en vengè- rent qu'en les méprisant. Enfin à la même époque, Molé et Dazincourt obtinrent un cougé pour aller en province et leur ab- sence acheva de désorganiser leur société. Malgré les épigrammes qu'on avait fait pleuvoir sur M.lles Contat et Raucour, la saine partie du public n'avait pas vu leur retraite saus chagrin. Peu dé Jours se pas- saient sans qu'on les redemandât à grands cris, et l'on finit par forcer les comédiens à rendre compte de leur retraite. Le len- demain de cette demande, Fleury se pré- senta au public avant le lever du-rideau et fit lecture de la lettre suivante: elle était de Mlle Contat. DE. (169 ) MM. et camarades, «Ji ignore cé qui s'est passé hier à votre théâtre, mais la lettre que je recois en ni annonçant une nouvelle preuve de l'in- dulgence du publie, excite en moi la plus vive sensibilité; ses bontés seront long-tems l'objet de mes vœux et seront toujours celui de ma respectneuse recon- naissance. Les motifs qui m'ont forcée àtrenoncer au bonheur de lui consacrer mes'talens sont connus et subsistent, ils ne preunent pas leur source comme on l'a calomnieusement supposé dans un esprit de parti, mais bien dans une im- périeuse bécessité. «Veuillez bien, MM., être près du pu- blic les interprêtes de mon profond res- pect, de mes vifs et durables regrets. Vous ne pourrez jamais lui peindre qu'im- parfaitement la reconnaissance dont Je se rai pénétrée jusqu'au dernier jour». Je suis, etc. Cette lettre de M.lle Contat satisfit une partie du public; et mécontenta l'autre, . (170 ) mais il fallut bien se soumettre à cette raison impérieuse dont elle ne rendait pas compte et qui l'empéchait deremon: ter sur le théâtre. On ne réussit pas mieux dans les tentatives qu'on fit vis-à-vis de Mille Raucour pour lengager à revenir embellir la scène de sa présence et yre- cevoir les applaudissemens düs à son rare talent. Piqué d’être trompé dans son es- poir, le public crut se venger de cette der- nière actrice, en redemandant à haüte voix pendant le cours d'une représenta- tion, (le 5 septembre 1799) la rentrée de Mille Sainval, lainée. Sur cette. de- mande, un indiscrêt du parterre s’écria, que si.Mile Sanval rentrait au théâtre, il fallait renoncer à M.de Vestris, attendu qu'il existait une convention particuhère entre ces deux dames, qui portait que l'une se retirerait dès que l'autre parai- trait. Malgré le murmure qui s’éleva sur cette observation, Dunant qui se trou- vait en scène , prit la’ parole, ét dit que ses camarades et lui se feraient. un de- (171) voir d'annoncer à M.le Sainval le vœu du publie’, et qu'ils ne doutaient point de son eémpressement à le remplir. M.de Vestris , que le propos plusqu'indiscret d'un accord fait entre elle et M.lle Sain: val, de ne jamais se trouver réunies au théâtre français, avait véritablement af- Îligé , parut entre les deux pièces :et''se justifia en peu de mots d'une manière aussi modeste que noble sur cette fausse inculpation. | Deux mois s'étaient à peine écoulés iles puis la rétraite de Miles Contat et Rau:- cour , et dejà l'on avait perdu le souve- nir dé ces deux aimables actrices, quand, dans une farce révolutionnaire, intitulée le Despotisme renveîsé, on les vit répa- raitre l'une et l’autre: (Le 8 janvier 1791) le public les accueillit avec transport. La politique leur avait dicté la conduite qu’el- les avaient à tenir dans les circonstances où lon se trouvait alors. Les premiers sujets du théâtre s'étaient fait uu devoir de paraître dans cette misérable parade; #e + ( 172) M.lles Contat et Raucour crurert devoir partager avec leurs ancieus camaradesl’hu- miliation d'être forcées de représenter dans une pièce digne du plus profond mépris, puisqu'elles avaient auparavant partagé leur gloire. : : Le 10 avril le théâtre fit sa clôture par une représentation dont la recette fut distribuée aux indigens. Il ne devait se: rouvrir que pour annoncer au public qu'enfin l'intrigue et la cupidité étaient parvenues à dissoudre un théâtre digne de l’ancienne Grêéce. Les S rs Gaillard et Dorfeuille directeurs d'une troupe de comédiens, échappés des tréteaux de la foire, qu'ils avaient établis dans la belle salle de la rue de Richelieu, (*) furent les instrumens dont on se servit pour ‘opérer cette destruction. Depuis long-tems on avait eu soin, par de sourdes menées, d’attiser le feu de la dissension qui régnait parmi les socié- | (”) C'est la même qu’occupent aujourd’hui les co- médiens francais. Ë Æ (178) | täires du théâtre français, bien certain qu'avec une pareille tactique il ne serait pas difficile d'opérer leur scission. Tout avait réussi au gré des agitateurs: des promesses brillantes (*) avaient achevé de | décider ceux des Comédiens français qui semblaient encore balancer sur le parti qu'ils prendraient: enfin avant la clôture du théâtre plusieurs d'entre eux avaient souscrit leurs engagemens avec les Srs Gaillard et Dorfeuille, et annoncé à leurs camarades qu'ils étaient résolus à se sé- parer d'eux : dans ce nombre, les plus marquans étaient M de Vestris, Grand- menil , Talma et Dugazon. Le 27 avril 1791 les Sr Gaillard et Dorfeuille firent l'ouverture de leur salle par Henri VIII, tragédie nouvelle en cinq | actes ; l’auteur l'avait retirée des français, qui devaient la donner à leur rentrée, pour la confier à leurs rivaux. (*) Gaillard et Dorfeuille avaient fait des enga- gemens qui portaient quarante mille francs d'ap- pointemens. (174) On se porta en foule à ce nouveau théà: tre et Talma chargé du rôle de Henri VII, y développa un talent si profond qu'il au- rait arraché des applaudisseinens même à l'envie: ce jeune acteur. faisait des pro- gres rapides dans soû art. Le théâtre français ne fit son ouverture que le 2 avril par Iphigénie en Aulide. M.llkes Raucour, Sainval cadette, M.de Pe- tit (*) remplirent leurs rôles d'une ma- nière si sublime qu’elles furent applau- dies avec un enthousiasme dont il n y avait jamais eu d'exemple. On imagine bien qu'alors s’éleva entré les deux théâtres une rivalité qui, loin de nuire à l'art, l'eût, peut.etre , au con: traire bien servi, si l'intention eût été dirigée comme elle devait l'être. On pou- vait faire tourner à son profit, le mal- heur de la scission opérée entre les ca- médiens: on ne chercha à en tiret parti que pour les animer encore plus les uns (‘) Aujourd’hui M.d Talma. PE role ARS d'A ee CAR) Fcontre les autres: J'ai dit, que je ne mé “rendrais pas l'écho de toutes les scènes scandaleuses auxquelles cette scission don- na lieu, ainsi je passe rapidement à l'é- poque où Préville vint rejoindre ses an- ciens camarades : on a lu dans ses mé- moires ce qui ‘a rapport à cet événe- ment: je ne le répéterai donc pas ici. C'est à cette même époque qu'on vit, ce dont assurément on ne se serait jamais avisé dans les beaux jours de la comédie, “un auteur faire annoncer sur l'affiche du spectacle de la rue de Richelieu qu'il remplacerait l'acteur qui s'était chargé de remplir dans sa pièce 8 -rôle:de * ++. (cet acteur se trouvait indisposé depuis plusieurs jours ); effectivement il se pré- senta sur la scène, et dans un apologue, plein d'esprit, il capta son auditoire de manière à faire oublier ce que sa démar- che avait de ridiculé. ; Le théâtre français-et celui de la rue de Richelieu n'étaient pas les seuls sur lesquels on jouait la tragédie. Daus une ee 12 0 1989) | salle, construite daus le principe pour un# spectacle de mariounettes, Mlle Montan: # does ancienne directrice de la troupe. de Versailles , s'était avisée d'y placer Melpo- mène. Quelques tale vaient confondus avec des : acteurs qui n'en ns naissans Sy trou- avaient que le nom. Au milieu de ceux- ci, hurlait ce Grammont, d'horrible fi figure et d’horrible memoire. Les nc: seules méritaient une distinction particulière. De ce nombre surtout étaient les demoiselles Sainval et Mars, l'ainée. Mlle Montausier s'apperçut un peu tard, de ce qu'elle au: | rait dû appercevoir du premier coup d'œil, que le theâtre des Janot et des Jocrisse ne pouvait que mal servir. la gloire de la scène tragique, et ses propres intérêts. À la clôture de l'année théâtrale , elle re- nonça au projet extravagant qu'on lui avait’ donne , et qu'elle eût sagement fait de ne pas executer. Cette clôture eut lieu comme celle des français et du théâtre de la rue de Ri: chelieu le 31 mars 1792. # TN Le 26 avril suivant les comédiens de ces deux derniers spectacles firent leur rentrée; les français par un drame en cinq actes et eh vers, intitié le Lovelace. Clarice, roman Mn Ne 6 Se corinait, avait fourni à l'auteur son sujet. Gette pièce eut peu de succès malgré le talent que M4 Petit déploya dans le rôle intéressant de’ Clarice, | Les comédiens de la rue: de Richelieu furent encore moins heureux à leur ren: trée. La pièce qu'ils donnèrent tomba pour ne plus se rélever. M. de la Harpe vint à leur secours. Dans plus d'une occasion , depuis la mort de Lekain, surtout, il s'était prononcé contre les acteurs fran- çais avec une amertume qu'ils étaient loin de mériter : il avait même dans sa cor- respondance avec le grand duc de Russie, dénigré plusieurs des beaux talens qui brillaient alors parmi eux: d'après cela on ne doit pas être surpris qu'il saisit avec empressement toutes les occasions de pouvoir les mortifier. Ils étaient en 12 ( 178 ) possession de sa tragédie de Virginie, il la leur retira et la donna au théâtre de la rue de Richelieu. Une chose assez re- marquable c’est la lettre dont il fit pré- céder la reprise de cette pièce. Elle con- tient plusieurs expressions qu'on ne s’at- tendrait pas à trouver sous la plume de cet écrivain célèbre que des têtes couron- nées ont honoré de leur amitié. Ha «Je dois rendre public, écrivit M: de la Harpe, quelques éclaircissemens rela- tifs à la tragédie de Virginie que l'onva représenter au théâtre français de latrue de Richelieu. Comme il à paru depuis quelques années plusieurs pièces du mé- me nom, et qu'on en prépare encore d'autres, il m'importe et il doit m'étre permis de rappeler des faits qui consta- tent mon antériorité de manière à ne laisser aucun doute. «Cette tragédie fut jouée sans nom d’au- teur, au mois de juillet 1786, par les co- médiens français du faubourg St, Germain; elle leur avait été lue par M. Molé, à è cast “ ban LEZ Sr Rd PE » ‘ ; (267 ) nouvelle dans un café où se trouvait Quin, célébre acteur. de Drury-Lane: il y atten- dait l'heure de se rendre au théâtre, et cette heure s’approchait: il devait paraître dans la première pièce, et certain, d’a- près ce qu'il projettait, quil lui serait impossible de s’y trouver , il écrivit à la hâte ün billet pour prévenir Garrick, alors directeur de ce théâtre, qu’une affaire de la plus grande importance l'empécherait de remplir son rôle, et qu'il eût à s'arranger en conséquence pour prévenir le public sur le changement de spectacle. A cette “OMe» pareille proposition à faire pres: qu'au moment du lever dela toile, n’était pas sans de grands inconvéniens. Cepen- dant, pour cette fois, la chose se passa fort doucement. Quin était si générale- ‘ment estimé et aimé que les spectateurs ne marquérent d'autre inquiétude que celle de le croire malade. ‘Pendant que ceci se passait au théâtre, Quin s'était rendu dans la maison du bayt, chez lequel Tompson, suivant l'usage, avait ( 268 ) été déposé avant d'être conduit en prison. Après s'être. porté caution de la dette de ce poête, il lui avait fait annoncer sa liberté par le bayli, et avait chargé cet homme de lui dire en même tems, qu'un de ses amis l'attendait pour sortir ensemble. Tompson moins empressé de jouir de sa liberté que de connaître l’armi à qui il en avait l'ob- ligation , descendit avec la précipitation qu'on dot supposer. Ne voyant que l'ac- teur Quin, quil connaissait à peine, il cherchait des yeux l'ami que lui avait annoncé le bayli. Quin lui prenant la main, «c'est moi, lui ditil, qui ai osé me donner pour votre ami. Soyez le mien comme je suis le votre, puisque je vous dois la vie.» Tompson ouvrait de grands yeux sans rien comprendre à ce langage. «Oui, continua Quin: j'allais mourir d'une maladie de langueur quand _je me suis fait lire votre poëme des Sac- sons; il m'a fait tant de plaisir que, pour marque de ma reconnaissance, je vous avais mis dans mon testament pour trois “Cat PE Re cent livres sterlings : actuellement que rüä sauté est rétablie, grâce à à votre charmant ouvrage, J'ai cru qu'il valait mieux vous payer ce petit legs de mon vivant, que J d’en charger mon exécuteur testamnentaire : voilà donc ma dette , lui ditil, en lui ré- mettant un petit.porte-feuille, que Tomp- son fut forcé d'accepter. On juge bien que Quin n'eut jamais un plus sincère ami. Revenons au théâtre français. À l’époque où commença la révolution LE LS LP Sin éprou va de la part de Du***** des vexations d'un genre particulier ; tou- tes les fois qu'il se trouvait en scène avec elle il profitait des momens de jeu muet pour iui dire mille impertinences, aux- quelles cette actrice n'opposait que le mé- pris, quoiqu elle eut pu alors obtenir jus- _ tice, si elle s'était adressée aux gentils- | Fun la chambre. Elle eut par [a nite deæplus fortes : aisons encore de haïr æ mortellement cet homme. Enfin arriva un moment où il eut besoin de recourir à ee 4 ÿ é 14 te: NOUS \ { 270 js He elle:,1l Jui écrivit, la pria d'oublier. F passé et l'assura due reconnaissance éternelle si elle voulait bien s'intéresser au succés de la demande qu il ARE de I était. certain que la moindre Opposition de Mile C**##* suffirait pour être éconduit, Cette actrice lui fit Ja réponse suivante : : «Votre lettre m'a fait de la psine et du plaisir: de la peine, parcequ ‘elle ni a rap- pelé ce que j'avais oublié depuis long-tems : ; du plaisir, parceque vous me dofnez une occasion de vous Servir, ce que Jjaurais fait lors même que vous ne my auriez pas. engagée. Je vous assure du succès : : au moins le prix que 1Y mettrai me le fait regarder comme certain. Ne parlons point de reconnaissance, car j'aurai trop de plaisir à vous rendre le service que vous me demandez pour n'être pas cer- taine que vous en auréz un peu à le recevoir. » Le2233 222 2" Le Roi de Cocagne, comédie deLegranc ” est du nombre de ces mauvaises pièces # À (271) qui, depuis un siècle , jouissent du pri- vilège de paraître sur le théâtre, une fois tous les ans, dans les jours consacrés à la folie. | Lors de sa première représentation, Lathorillière, père, y remplissait le rôle d'un poëte, introduit dans le prologue, sous le nom de Lafarinière: l'original que Legrand avait eu en vue dans la compo- sition de ce rôle était le poëte Hay, qui avait Composé trente ouvrages, tant tra- giques que comiques, Sans avoir réussi à en faire un qui pût soutenir la repré- sentaton, Il est vrai que cet auteur ne travaillait qu’au cabaret , et que rarement il était de sang-froid. Lathorillière, pour donner plus de vérité à son rôle, en- gagea May , le jour de la première représentation, à venir vider avec. lui quelques bouteilles de vin, et l'ayant rois dans l'état d'ivresse où il le voulait, il le fit coucher dans un lit du cabaret, prit ses habits , s'en couvrit et vint de , cette maniére représenter son rôle. Tout nd HÉRe TN ‘4 Paris connaissait May , qui, ‘comme où ‘le juge bien était peu soigneux, dans sa toilette, en sorte que l'illusion que pro- duisit Lathorillière fut ‘complette. “ Ce poële avait eu cent mille francs de patrimoine qu il avait. mangé en Ci ti] ans; voulant, disait-il, savoir comment on vivait avec vingt mille livres de rente. M. le duc de Ventadour aimait beau: coup May, dont l'esprit original LE» sait. Quand ce poête n ‘avait point d argent pour aller diner au cabaret, il venait chez le duc qui avait donné l'ordre de. le servir toutes les fois qu'il se présen- terait: et sur ce que quelques-uns de ses amis lui représentaient qu'il avait tort de ne point user plus fréquemment des offres de M. le duc de Ventadour, «que voulez: vous MM., leur répoudaitil, je n'ai d’ap- pétit qu'au cabaret, et tout autre vin que celui que j'y bois, me paraît plat et in- sipide. » | L'argent que May pouvait se pro- curer par ses ouvrages, 1l l'employait à 775, 1 EEE boire: il aurait cru faire un acte démé- ritant en en consacrant une partie à son habillement : c'était le duc de Ventadour qui avait la bonté de pourvoir à sa garde- robe, et, le plus souvent, Yay vendait l'habit que le duc lui avait fait faire et en achetait un vieux. Un jour que ce seigneur lui avait fait faire une très belle perruque (ornement alors très cher}, il lui recommanda, sous peine de ne le plus recevoir, non seulement de ne pas la ven- dre, mais de la ménager et de ne la met- ire que par le beau tes. Peu de Jours après May se présenta chez lui par une grande pluie. Pourquoi , lui dit le duc, n'avez vous pas mis aujourdhui votre mauvaise perruque ? — Parceque je l'ai vendue, répondit Maj. — Eh! pourquoi l'avez vous vendue? — Pour ne pas ven- dre la neuve. — Excellente précaution, dit M. de Ventadour, en éclatant de rire aux larmes, LALLL LR 2332) 15 ('274.) Corneille avait un extérieur tres négligé. Ses amis le lui faisaient quelquefois ob- > / server: Je ne suis pas moins, disait-il en souriant , Pierre Corneille. | Lorsque ce grand poète fut mort, et qu’il fut question de son service funeébre, il ÿ eut un combat de générosité entre Racine et l'abbé de Lavau, pour savoir lequel des deux, en leur qualité de die recteur de l’Académie française (Racine avait succédé à M. de Lavau), en. serait chargé. Il paraissait incertain sous le di- rectoriat duquel Corneille était mort. La chose fut mise au jugement de la Com- pagnie. M. l'abbé de Lavau l’emporta. Benserade dit alors à Racine: «Si quel-. qu'un pouvait prétendre à enterrer Cor- neille, c'était vous.» Le 4e LR 6e 0 Un jeune poète consultait un jour Dan- chet sur une petite comédie qui commen- cait ainsi: | Maison qui renfermez mon aimable maîtresse, Mauvais début, lui dit Danchet : le mot El (215) de maison est trivial: mettez Palais. L'au: teur recommeénça son vers sans y rien changer: — Je viens de vous dire de met- tré Palais. — Eh! M., répliqua le jeune poète: vous voulez que je mette Palais, tandis qu’elle est à l'hôpital. Rasa res ie ss Farineili, qui dut à son talent commé chanteur la dignité de Grand d'Espagne et la plus incroyable fortune, avait com- mandé à üuu tailleur un habit magnifique, qu'il voulait avoir dans les vingt-quatre heures. Je quitterai tout pour vous satis: faire, lui dit celui-ci, et effectivement, il lui rapporta son habit le lendemain à son réveil. —= Farinelh lui demanda son mémoire. — Je n'en ai point fait, répon. dit ie tailleur; et n'en ferai point. Pour tout payemeñt je n'ai qu'une grâce à vous demantder: je sais que ce que je désire est d’un prix ineslimabie ; mais puisque j'ai eu le bonheur de travailler pour un homine dont on ne parle qu'avec admi- *. # " se ( 276 ) Re. ration , je ue veux d'autre payement que _de lui entendre chanter un air. Farinelli s'en défendit et voulut qu'il acceptät le prix qu'il crut devoir mettre à l’habit qu'il lui avait apporté; mais le tailleur persista à refuser. Enfin Je musicien vaincu par l'extrème désir que cet homme avait de l'entendre, s'enferma avec lui, chanta les morceaux les plus brillans et se plut à déployer la supériorité de son talent. Le tailleur était épivré de: plaisir : plus il paraissait étonné et plus Farinelli mettait d'expression dans son chant. Quand il eut chanté, le tailleur hors de lui-même lui témoigna toute sa reconnais- sance et se prépara à sortir. «De tous les applaudissemens que j'ai recus jusqu’à présent , lui dit Farinelli, aucuns ne m'ont autant flatté que ceux que vous venez de me donner. Il est donc juste que. je vous en témoigne ma reconnaissance.» En même tems il tira de sa bourse le double de la valeur de lhabit que le tailleur lui avait apporté. Celui-ci continuant à refuser: Je be a L Car" vous ai cédé, ajouta Farinelli, il est juste que vous me cédiez à votre tour. L’Avare est une de ces pièces qui a été traduite dans toutes les langues. L'au- teur anglais a renchéri sur l'original dans cette sentence qu'Harpagon veut qu’on écrive dans sa salle à manger «Il faut manger pour vivre, et non pas vivre pour manger» Il ordonne dabord qu’elle | soit écrite en lettres d’or, puis réfléchis- sant qu'il lui en couterait trop: cette miaxime, dit-il, sera tout aussi lisible en l’écrivant avec de l'encre ordinaire. Dans le Cercle, comédie dont nous avons déjà parlé, l’auteur ne se contente pas de mettre à contribution M. Palissot, il a-eu recours aussi à M.% de Sevigné, dans ce qu'elle raconte au sujet de la mort de M. de Turenne, Swift avait em- ployé le même trait dans des! vers qu'il fit sur sa mort. Il supposa qu'on vient l'annoncer à deux dames qui sont occu- ( 278 ) _pées d'une partie de jeu. — -«Ah! mon dieu, s'écrie l'une d'elles, le pauvre Swift est mort..... carreau....— C'était un homme d'esprit, reprend l'autre …. tref- fle....— Oui, mais il était un peu mor- dant.... la vôle. | REPT k d MB Ur 4 | Sedaine, à qui l’on reprochait, avec raison, d'écrire aussi mal en prose qu'en vers, mais qui en convenait, quoiqu til Jut académicien, ayant entendu le. dis- cours de réception d'un de ses nouveaux collègues, l’'embrassa avec transport lors- qu'il l'eut terminé. Ah! Monsieur, lui ditil, depuis vingt ans, j'écris du Gali- mathias, mais vous venez d'en débiter en une heure plus que je n'ai pü en écrire depuis que j'ai quitté ma truelle (on sait que Sedaine, avait été maitre maçon avant, de se douter quil était auteur). C'est lui aussi qui se vantait d'un avantage qu'il avait sur les écrivains les plus distingués. «On prétend, disait- il, que j'écris mal et que Je ne connais | (,279::) _pas les premières règles de la grammaire: cela se peut, mais je tire beaucoup d’ar- gent de mes ouvrages, tandis que mes confrères , les auteurs, meurent de faim avec leurs brillantes productions. Il est vrai que Sedaine, écrivait trés incorrectement , mais nul auteur ne pos- séda plus que lui ce que l'on nomme la. magie du théätre. Cependant nous avons une pièce de lui, la Gageure im- prévue, qui prouve qu'il faisait ven quand il voplait, L RAR LULLIER À M." Dumesnil, jouant à Strasbourg le rôle de Cléopatre, dans la tragédie de ce nom, après avoir prononcé ce Vers : Je maudirais les dieux , s'ils me rendaient le jour. se sentit frappée d'un coup de poing dans le dos: c'était un vieux militaire, qui était dans les balcons du théâtre, préci- sément derrière elle, qui l'avait traitée de cette manière en l'apostrophant ainsi: . va chienne à tous les diables. Ce tait de délire, disait M." Dumes- ‘€ 288) nil, est l'éloge le plus‘flatteur que j'ai reçu sur la manière dont je rer phssais le rôle! de Cléopatre. : Je m'apperçois au moment où ces mé moires sortent de la présse, que jé n'ai point parlé de quelques observations de. Préville, sur les moyens qu’on peut em- ployer si nou pour corriger entièrement, au moins pour adoucir les défauts d’une voix peu gracieuse. Cet ouvrage étant principalement consacré aux Jeunes gens qui se destinent à parler en public, j'ai- me mieux encore être accusé d'un peu de négligence dans le premier examen que j'ai fait des matériaux qui le compo- sent , plutôt’ que ‘de passer sous silence ces obsersations qui m'ont paru intéres- santes «Bien des géns pensent, dit Préville, qu’il est impossible de rémédier à certains : vices dans la voix. S'ils tenaient vérita- blement à la nature de cet organe, Je 2, % Sa ( 281 ) crois que, quelqu'éfforts qu’on fit il se- rait aussi impossible de s'en corriger, qu'il le serait à un ‘hommé né avec cer- taines formes désagréables de les changer. Mais l'expérience m'a confirmé que, le plus souvent, on ne devait ces vices qu'à de mauyaises habitudes, contractées de- puis l'enfance, et que personne n’a pris la peine de réctifier dans ceux chez les- quels elles se rencontrent. Je ne citerai point ici l'exemple de Démosthéne: tout le monde sait ce que l’histoire nous dit. sur les difficultés que cet orateur eut à combattre avant de pouvoir être écouté favorablemeut; mais entre inille exemples, de nos jours je citerai celui de Lekain, dont la voix glapissante était devenue à force de‘travail et d’émitation si flexible qu'aucun ton ne lui était étranger. Je ci- terai une actrice qui fait aujourd'hui Îles délices de la scène française, et qui, lorsqu'elle manifesta le désir de débuter ; parut si insoutenable, en raison de son organe, lorsqu'elle débita en comité par- (2840) ticulier un des rôles dans lesquelselle se proposait de paraître qu'elle fut rejettée tout d'une voix. Je l'avais écoutée avecune attention soutenue, et je ne balançai pas à prononcer qu'avant six moix, cette même personne qu'on regardait comme devant, par sa voix fausse et rauque dans certains momens, rebuter les spectateurs, serait généralement applaudie par les causes con- traires à celles qui empéêéchaient son ad- mission à un début. Je dois dire que ces défauts dans son organe, exceptés, , et que je reconnus pour ne provenir que dune mauvaise habitude contractée dès l'enfance, elle possédait toutes les autres qualités qui annonçaient un vrai talent». «Cette jeune personne pour qui la re- connaissance était sans doute un fardeau et cest la raison qui m'’empêche de la nommer, consentil à recevoir mes leçons. Comme je l'avais pronostiqué, au bout de six mois elle débnta, et sa voix était devenue, si gracieuse, que ceux de mes camarades qui l'avaient entendue la pre- F E ' ï F: ci e 0 4 2 83 ) mière fois qu'elle s'était. présentée à une de nos assemblées particulières doutaient que ce. fut la même personne A «Qu’avais-je fait pour corriger lesdéfauts de cet organe vicieux? Ce que j'ai fait de- puis pour les éleves qui ont assisté à mes lecons ». | | «Gardez-vous, leur disais-je, de forcer votre organe. Il ne faut ni le grossir nt le prendre dans le clair, etencore moins la-forcer. Outre qu'en criant ou en pre- nant un ton de fausset, on ne peut pas être maître de ses inflexions, il s’en sui- vra que si votre voix a quelques défauts, il sera bien plus sensible alors , qu'en la contenant daus un juste 72edium. (*) Ne lui donnez jamais :que l'étendue qu'elle doit avoir. Écoutez-vous soigneusement en parlant; prenez bien vos tems, vos repos, afin de pouvoir maitriser votre or- (*) On concoit facilement que ces préceptes ne s'adressent pas à ceux à qui une voix grêle et dé- bile interdit le droit de parler en publie, a 4 à = TRS EU … (284) [NES gane et le varier le plus qu'il est possible, an jugement de votre oreille, qui seule peut suffire pour en décider dans le MO-- = ment. Ayez en conséquence, la précau- tion de ne pas enjamber trop précipitam- ment d'une phrase à l’autre, non seule- ment afin de pouvoir reprendre baleine aisément, mais aussi afin de donner : à votre auditoire le tems de respirer : trop de précipitation, comme trop de ‘lenteur le fatiguent. 11 y a dans la récitation, ainsi que dans la tiusique uné espece de marche ét de mésure naturelle qu'un cer- tain tact fait toujours observer invaria- blement ». « Le public sans s'astreindre précisément aux régles, connaît fort bien ‘les effets : son guide est le sentiment, qui ne trom- pe jamais. Trop de précipitation dans le débit conduit l'acteur à une monotonie dont il lui est impossible de se garantir. Le moyen déviter ce défaut est de ne pas recommencer Ja phrase du mème ton qu'on a fini la précédente; sans quoi, (280 ) la voix n'étant toujours que trop por- tée à monter, on se trouverait souvent, dans le cours d’un morcéau récité,; une octave au-dessus du ton ordinaire. Énfin l'on doit s'appliquer. à faire des nuances marquées et à forte touche partout où l’on présumera quelles peuvent être bien placées. Mais on ne parvient au succez que par un travail assidu et infatigable. «Ceci me conduit naturellement à com- battre la question suivante que j'ai sou- vententendu agiter: la diversité d'organe peutelle étre un obstacle à s'approprier la récitation, d'nn autre» ? «La musique me fournit encore un objet de comparaison qu'on pourra: faci- lement rapprocher». « Supposons qu’une basse-taille montre un air, quel qu'il soit, à une haute-contre, et vice versa; chacun chantera certaine- ment le même air avec sa voix respective, et aucun des deux ue sera assez mal-adroit pour aller prendre et copier la voix de l'autre (ce qu'on ne pourrait guère quand ( 286 ) oh le Voudraitéron copiera le ton, la mu- sique, mais difficilement le ton Je VOIX. Ainsi un, éfève de comédie, en récitant d'après un bon maître en! prendra bien les modulations, lesinflexions , mais point du tout l'organe. Ce qui se pratique pour % Je chant peut se: pratiquer, soit pour le ir une décla- discours ordinaire , soit. -pôur mation plus pompeuse ; eve qu'ôn. ait dans l'organe de la justesse et de la flexi- bilité. Cest au maitre à conserver Île medium de sa voix lors même qu'il au- rait à instrüuire une femme. L'’écolier doit saisir les tons, et non se metire à l'unis- sOn ». _ «Il me reste encore une observation à “faire: c’est que l'acteur doit proportion- ner son débit à son physique: il doit le mésurer sur le plus ou, moins de no- blesse qu'il a dans sa figure et 54 par- sonne: c'est-à-dire que s'il est petit et décharné, il paraitrait bas ettrivial dans une récitation simple et naturellé (je parle ici de l'acteur tragique) celui au contraire ( 287 ) dont l’air est noble et grand, peut parler ses rôles avec moins d’emphase sans Pour cela produire moins d'effet, » fa Je ne saurais micux terminer mon tra- vail qu’en rappelant aux lecteurs une ré- flexion de Louis Ricoboni. « Parmi les arts, dit-il , il y en a un qui est abandonné; ou RÉ dès le premier instant qu’une personné en fait léssai, et qu’elle apper- çoit qu elle n’a pas les talens que la pro- fession exige. On s’imagine qu’il est impos- sible d'acquérir les dispositions qu’on n’a pas, de corriger les défauts qu'on a, et de surmonter les difficultés qu'on y ren- contre : C’est l’art de la déclamation. » Ces dispositions qu’on n’a pas , c’est la nature qui les a refusées; ces defauts qu'on a, c’est la nature qui les a donnés ; comment acquérir les unes, et corriger les autres? par une étude constante des bons modèles, eLen méditant altentive- ment les lecons écrites. Combien de jeunes gens auraient pu s’il- lustrer, soit en suivant la carrière du bar- rs (288 reau , Soit en suivant celle Fi ñ chaire, s'ils eussent été bien convaincus que Cer— tains dons que la nature paraît avoir re | fasées, s’acquièrent par l'étude, par l'imi- 4 tation et par le travail; et qu EX , il est clairemént prouvé qu “l est peu de vices dans l'organe dont on ne puisse triom- pher, quand on en a la volonté absolue , et peu de qualités qu’on ne puisse acquérir, l'art de la déclamation ; ‘avec le secours d’un bon maitre. RON